C’était en effet par cet endroit que les caravanes chamelières arrivaient pour leur halte de quelques jours après leurs harassants périples en provenance des montagnes de l’Atlas ou des dunes du Sahara. Les chameaux se reposaient dans le caravansérail situé à proximité de la porte et les voyageurs prenaient le temps du repos et du commerce ainsi placés sous la protection des habitants pendant leur séjour, et moyennant le paiement d’un droit de passage. Parfois même, les propriétaires de dromadaires, hors les saisons d’itinérance commerciale, mettaient à proximité du ksar leurs troupeaux en pâturage.
Aït ben Haddou aura été un lieu d’étape privilégié pour les routes du commerce transsaharien mises en place à partir du 11ème siècle après les grandes conquêtes de la dynastie berbère sanhajienne des Almoravides. Reliant ainsi Tombouctou, Sijilmassa et Essaouira, ces voies furent pendant des siècles le seul moyen d’organiser l’échange de l’or ou des esclaves, de tissus, de dattes, de blé, de thé ou de sucre, mais encore d’épices, d’ambre ou de peaux.
L’arrivée de ces volumineuses expéditions était pour le village un moment fort qui venait le sortir de sa routine quotidienne. Les enfants enfin s’égaillaient, les artisans et les commerçants avec, tous émoustillés de se retrouver ainsi plongés dans une vivifiante activité. L’instant de ce savoureux brouhaha, le ksar d’Aït Ben Haddou devenait le lieu de tous les échanges, celui où s’entrevoient les cultures lointaines, celui où se transmettent quelques savoirs, quelques idées. Le lieu où se construisaient les influences comme les réputations.
La caravane n’était en effet pas seulement porteuse de denrées rares mais elle permettait surtout aux villageois de se tenir informés de ce qui se passait à l’autre bout de leur monde, au grand sud, au-delà du désert, comme au grand nord, au-delà des montagnes. La caravane fonctionnait telle une passerelle entre les villages du royaume du Maroc alors en pleine construction et favorisait au fil des déplacements la structuration d’un cadre commercial, religieux et politique commun.
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Le déclin progressif de ce mode de commerce à partir du 17ème siècle, en raison de l’ouverture des routes maritimes par les nouvelles puissances d’Europe, comme le Portugal, l’Espagne ou la France, entraina la lente mise en sommeil de tous ces lieux jadis à la croisée de tous les chemins.
Aït Ben Haddou n’échappa pas à cette destinée. Les caravanes un jour cessèrent d’arriver jusqu’au ksar et les rares dromadaires encore présents furent désormais mis au service d’une activité touristique naissante. La porte de Takmout, celle du nord, se trouva elle aussi dépourvue de ses oripeaux d’antan. Le chef comme l’esclave avaient quitté ce lieu de leur fierté à jamais évanouie.
Un monde s’en était allé, celui d’une mondialisation d’un autre genre, vivace et vitale certes, mais sereine et régulée, à la mesure du temps d’alors, au pas lent du rythme des chameaux.
Ce texte a été rédigé dans le cadre de l’ouverture de la Maison de l’Oralité du ksar d’Aït Ben Haddou.
La série sur le ksar d’Aït Ben Haddou
A visiter : Le ksar d’Aït Ben Haddou
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