Le voyageur admire ainsi, éparpillés le long des vallées fracturant l’immensité minérale de l’Atlas, tous ces villages et leurs maisons, blotties les unes contre les autres dans une évidente intention de se protéger, faites de terre et enchâssées dans la terre, comme voilées, quasi invisibles sous l’uniformité de l’ocre qui les pare.
Au ksar d’Aït Ben Haddou, comme partout ailleurs au sud Est marocain et au-delà du grand désert du Sahara, le corps des habitats se construit bloc après bloc avec le compactage dans un coffrage de bois d’une terre légèrement humide et parsemée de cailloux. C’est la technique millénaire du pisé. Il faut imaginer le geste répété de l’artisan maçon. Il tasse à l’aide d’un long et lourd pilon en bois le mortier naturel au rythme du chant des ouvriers qui versent, les uns après les autres, leur seau de terre dans le moule, rendant ainsi sous la force de ses frappes, et après séchage, l’amalgame de terre aussi solide que le roc.
Vivre dans les bras de la terre, c’est avant tout se préserver des aléas du climat, et la région les accueille ici dans leur radicalité, hiver comme été. C’est encore s’offrir l’entourage d’un silence apaisant. C’est assurer à sa communauté un foyer réconfortant organisé, comme l’ont fait tant de peuples sous d’autres latitudes, autour d’une pièce centrale percée en son milieu d’une ouverture vers le ciel et ses lumières, avec une série de pièces qui en font le tour.
Ce corps de terre se recouvre sur ses façades d’une autre couche de terre où viennent se mêler la paille ou le sable. C’est là l’occasion d’y graver les signes de ses traditions métisses, dans la perpétuation du sacré ou bien dans le seul plaisir d’offrir au regard l’élégance des dessins.
Souvent des murailles entouraient les villages dans leur entier pour les fortifier face à toutes les menaces et ainsi préserver leurs récoltes agricoles de l’appétit vorace des ennemis sans cesse à l’affût. Le village devenait alors un ksar, un Ighrem en langue amazighe. En son centre, un grand espace permettait aux habitants de se réunir pour discuter des affaires collectives ou bien faire la fête autour des danses traditionnelles d’Ahwach. Ici à Aït Ben Haddou, l’agora s’organise sur une place dénommée Agoulid n’Youssef. La communauté juive du ksar avait elle l’usage de se réunir autour d’une pierre ronde, Tifirte n’raha, encore appelée la pierre d’Abraham. Le caravansérail proche de l’entrée nord, appelée Imi n’Taqmout, accueillait les visiteurs et leurs montures. Une rue principale irriguait un dédale de ruelles étroites, souvent recouvertes d’un toit. Des banquettes en pierre çà et là s’offraient au repos des anciens. La mosquée attendait les prières, comme la synagogue.
Ainsi allait la vie au ksar d’Aït Ben Haddou, au cœur de la terre et sur le fil du temps.
Ce texte a été rédigé dans le cadre de l’ouverture de la Maison de l’Oralité du ksar d’Aït Ben Haddou.
La série sur le ksar d’Aït Ben Haddou
A visiter : Le ksar d’Aït Ben Haddou
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