Il s’agit d’une race ovine réputée pour la qualité de sa laine uniformément blanche ou noire avec une toison de poils longs, lisses au toucher, propres et homogènes. Cette qualité de laine est directement à l’origine de la renommée des tapis produits par les femmes de ces différentes communautés berbères établies autour du massif du Siroua et porteuses de ces noms au travers desquels résonne l’histoire de la région d’Ouarzazate, Tamassine, Tidili, Aït Semgfane, Tazenakhte, Aït Waya, Aït Douchen, Aït Ouagharda, Aït Ameur, Aït Zineb, Aït Makhlif. Toutes ces tribus sont membres de la confédération dite des Aït Ouaouzguite, appellation qui aura finalement donné son nom aux productions locales de tapis pour devenir au fil des années une véritable marque qui aujourd’hui rayonne dans le monde entier.
Ce tapis Aït Ouaouzguite garde encore toute son originalité grâce au labeur notamment des femmes de ces douars autour de Tazenakhte qui se transmettent cet art séculaire de mère en fille. Ces artisanes sont ainsi les gardiennes d’un art ancestral qui représente une branche majeure du riche patrimoine berbère. En répétant les gestes méthodiques de cet artisanat de précision, ces femmes sont à la fois des artistes et des actrices économiques. En effet, le tapis est pour chacune d’entre elles autant une source de fierté, car leur art leur permet de préserver vivant ce patrimoine collectif, qu’une source d’épanouissement, car leur activité leur génère du revenu financier.
Les porteuses infatigables du patrimoine berbère
Les femmes du Siroua sont des travailleuses chevronnées de la laine. Autrefois comme aujourd’hui, ces femmes font avant tout du tissage de tapis pour l’utilité de leur foyer. Elles fournissent ainsi tous les tapis, couvertures, djellabas, burnous, Akhnifs (cape ou manteau de berger d’Aït Ouaouzguite) nécessaires à tous les instants de la vie quotidienne. Leurs métiers à tisser produisent en permanence. Ce labeur quotidien dévoile les qualités profondes de la femme amazighe rurale, à savoir la persévérance, la patience et le contentement. Elles supportent inlassablement une grande part du fardeau socioéconomique de leur famille.
Les tisseuses de tapis ont aussi le privilège de perpétuer un art ancestral qui fait la richesse du patrimoine culturel berbère du Maroc. Leur savoir-faire se traduit par une technique de tissage perfectionnée selon deux approches qui font la spécificité du tapis Aït Ouaouzguite : une fabrication en technique de nouage simple, c’est-à-dire la mise en place d’un nœud symétrique sur deux chaines du métier, et une autre fabrication combinant des parties nouées et d’autres tissées, technique propre au tapis dénommé Hanbel ou Atellis. Ces tapis sont généralement de taille étroite et allongée afin de s’adapter aux salles d’habitation pour lesquels ils sont destinés.
La tradition Aït Ouaouzguite propose aussi un tapis de grande taille, de fabrication particulièrement raffinée, et qui fit sa réputation sur toute la première moitié du XXème siècle. Il s’agit du tapis Hanbel dit Glaoua, du nom de la tribu d’où furent issus plusieurs pachas qui contrôlèrent toute la région pendant une longue période. Ces puissants représentants du Sultan, quasi seigneur de leur territoire d’autorité, se faisaient tisser par les artisanes des tribus de magnifiques pièces aux motifs chatoyants.
Un autre tapis de large taille est aussi présent dans les collections traditionnelles des Aït Ouaouzguite. Il s’agit cette fois d’une pièce qui sert pour les tâches agricoles, comme celle du transport des graines récoltées. C’est le tapis Zanifi fabriqué en tapisserie et cordelière.
Les gardiennes d’une tradition artistique ancestrale
Quel que soit le pays où il se pratique, l’artisanat du tapis unit la technique de tissage au rituel du sacré. La gestuelle de l’artisane qui tisse sur son métier est l’expression de son savoir-être en relation avec sa tribu qui compose son identité et avec l’univers qui l’accueille et la maintient en vie.
Cette femme tisseuse fait du tapis le support où se racontent son histoire et celle de sa communauté. Elle y dessine divers motifs géométriques, des signes d’une esthétique grandiose et d’un langage symbolique. L’art du tapis entre les mains de ces femmes berbères fait se côtoyer le poétique et l’utilitaire pour dire en beauté les émotions, les inspirations, l’entourage de vie de ces femmes qui font de leurs capacités manuelles un véritable outil de création. Elles travaillent ingénieusement tout à la main en mariant la matière et la couleur avec une précision du détail qui force l’admiration.
Le répertoire décoratif des tapis Aït Ouaouzguite est varié allant des dessins de type losange, croix ou carré jusqu’aux représentations de l’environnement naturel et culturel. On retrouve ainsi l’usage de nombreux motifs floraux, des dessins d’animaux, parfois quasi imaginaires, des figures du soleil ou des astres, la lune bien évidemment, ou encore des dessins étranges qui se répètent comme un leitmotiv secret dont le célèbre motif en crochet dénommé « grenouille » (agrow en langue amazighe) et que des ethnologues ont analysé comme une représentation de la femme en position d’accouchement.
Tous ces motifs s’organisent dans une ambiance visuelle où dominent la jaune et l’orange en rappel des champs de blés, du safran et du soleil qui composent l’environnement de vie de ces femmes. Ici, et à l’inverse des tapis du centre du Maroc, le rouge se fait discret.
Redonner à la femme berbère le fruit de son labeur et de son art
Le tapis Aït Ouaouzguite jouit d’une renommée mondiale, et ce depuis la période du Protectorat français qui a beaucoup fait pour le développement de sa production et de sa commercialisation. Cependant l’artisane qui est l’auteure de ces magnifiques tapis est trop longtemps restée confinée dans l’ombre, fidèle en cela à la place que la tradition confère à la femme dans le monde rural qui sans cesse s’active, du matin au soir, dans un environnement de vie austère et au sein d’une communauté où le pouvoir est détenu par les hommes.
On a ainsi loué la beauté de l’ouvrage tout en négligeant de reconnaitre l’expertise et le talent de l’artisane. Certes la « dimension femme » a été très tôt mise en avant en tant qu’argument de vente mais dans les faits, la part financière qui revenait à la tisseuse n’était pas à la hauteur de la réalité de son ouvrage. L’essentiel du gain restait alors dans les mains des hommes, qu’ils soient coordinateurs du travail des femmes ou bien intermédiaires commerciaux.
Or, cette reconnaissance de l’expertise et du talent de la tisseuse doit s’exprimer avant tout par une juste rétribution du travail accompli, dans sa partie technique comme dans sa dimension artistique.
Fort heureusement, les tisseuses de tapis ont peu à peu relevé la tête pour passer au-devant de la scène et enfin assumer et affirmer leur position d’actrices économiques et d’artistes.
Sfia Iminetras est une de ces voix féminines déterminée à redonner à la femme sa juste place et à se hisser comme vraie ambassadrice du tapis berbère Aït Ouaouzguit. Elevée dans un entourage familial et tribal de tisseuses, Sfia a cumulé une riche expérience en tissage de tapis berbère comme toutes les femmes du Siroua. Consciente de la précarité socioéconomique des artisanes qui ont toujours moins bénéficié financièrement de leurs productions, elle s’est mobilisée pour organiser le travail des femmes dans le cadre de coopérative comme celle qu’elle a fondée en 2009 avec soixante-deux autres femmes issues de quatorze douars (villages) de la commune d’Iznaguen près de Tazenakhte sous l’appellation de « Coopérative Féminine Iznaguen des Tapis Authentiques ». Depuis, elles ont le contrôle de toutes les étapes de la vie d’un tapis, depuis sa production jusqu’à sa commercialisation.
« La coopérative a permis à ces artisanes de bénéficier plus de leur travail. Par conséquent, cela contribue à l’amélioration de leurs conditions de vie et l’accroissement de leur indépendance ainsi que leur épanouissement. »
Sfia Iminetras
La coopérative participe à des salons nationaux et internationaux notamment en Europe, Amérique et Asie. Cette dynamique féminine portée par et pour les femmes se consolide de plus en plus. Son succès devient remarquable dans la mesure où la coopérative a réussi à fidéliser un panel non négligeable de clients au Maroc et à l’étranger.
Label national de l’artisanat au maroc : La coopérative a reçu le label national de l’artisanat au Maroc, « Morocco Handmade », qui garantit des critères de qualité pour ses productions, sa responsabilité sociétale ainsi que ses bonnes pratiques de gestion.
Les efforts de Sfia et ses collègues continuent à produire des résultats encourageants. Leur coopérative a en effet décroché en 2016 le droit d’usage du Label National de l’Artisanat du Maroc, sous la dénomination « Morocco Handmade ». Ce label a été lancé en 2013 par le Secrétariat d’État en charge de l’Artisanat et de l’Économie Sociale au sein du Ministère du Tourisme. Cette marque de garantie officielle accorde à toute coopérative ou artisan qui la détient une meilleure image commerciale et le droit exclusif d’accéder à de nombreux salons nationaux et internationaux.
Cette labélisation est donc une vraie reconnaissance par le Maroc tout entier vis-à-vis de l’art dont sont détentrices ces femmes berbères du Siroua, mais aussi de toutes les autres régions du Maroc. L’impact économique du label peut permettre de dynamiser la commercialisation directe des tapis produits en donc de supprimer l’interposition d’intermédiaires trop gourmands entre les tisseuses et leurs clients.
Beaucoup reste à faire cependant pour qu’une véritable politique de promotion de l’artisanat propre aux femmes marocaines émerge et produise des effets durables sur la pleine valorisation du patrimoine marocain et sur l’émancipation de ces femmes, les véritables expertes et artistes du tapis marocain.
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