Vêtus de djellabas blanches et coiffés de turbans, quelques hommes viennent lentement se placer au centre de la place. L’un d’eux, portant sa main à sa bouche pour se donner résonnance, entame un chant d’une voix vigoureuse mais lancinante. C’est l’Anksalim. Il annonce qu’Ahwach a commencé.
Des femmes, portant leurs robes colorées, leurs plus beaux bijoux, ceux que leur mère, leur grand-mère, portaient dans les mêmes occasions, finement maquillées autour de leurs yeux, signées sur le front des symboles de leur peuple, les unes après les autres elles s’approchent des hommes pour former autour un cercle, silencieuses, immobiles. Deux battements de tambourin frappent l’air d’un coup sec, c’est le son du Taguenza. Les femmes lancent alors leurs cris stridents, les Taghirts, ces you-you semblables à des lucioles tournoyantes dans le feu qui commence à jaillir de la troupe, hommes et femmes ensemble ; ces injonctions offertes aux esprits invisibles pour solliciter leur protection.
Le silence revient. Une voix solitaire s’élève alors et déclame à la foule le récit de la journée, ou bien celui qui raconte les exploits des héros du passé, ou bien encore l’amour impossible du nomade étranger pour sa bien-aimée. C’est l’Ammdour, le poète qui déploie sa longue mélopée ponctuée du claquement des tambourins.
Et enfin le corps entier du groupe au centre de la place, avec autour la foule agglutinée de tous les villageois, entame lentement sa ronde. Les femmes balancent leur corps, les hommes frappent la peau de leurs tambours. La danse peut commencer. Des heures durant, des nuits entières parfois, tous se seront réunis sur le fil d’Ahwach.
Ahwach, c’est le patrimoine oral du peuple amazigh qui ramène sur la crête des mémoires les souvenirs lointains de toutes ces communautés qui ont peuplé le Sud Est du Maroc. C’est l’art d’une poésie qui s’écrit d’une encre ancestrale, fruit d’une savante alliance entre la danse et le chant, entre les corps et les voix. Ahwach, c’est le moyen conçu par les femmes et les hommes de ces terres arides pour échapper à l’oubli comme à l’ennui.
Face à la gravité de l’existence, enchâssées dans une société humaine toujours sur la réserve, la prudence ou la rudesse des regards, les communautés amazighes ont fait d’Ahwach une brèche de liberté, de caprice, de folie, quelque chose comme un moment d’ivresse et de fantaisie offert aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Un instant fugace où les corps s’enflamment, où les langues se délient sans peur, où l’imagination ne se tarit jamais.
Ces femmes et ces hommes se sont donné le droit d’être alors les poètes de leur vie. Ils rient en silence de cette audace incroyable. Ils tournent et tournent encore au rythme des chants et des sons, jusqu’à rejoindre alors la valse incessante de l’univers, de ses soleils et de ses galaxies, là seul où vraiment pourront se fondre d’harmonie l’esprit et son corps.
A visiter : Le ksar d’Aït Ben Haddou
La série sur le ksar d’Aït Ben Haddou