Le redressement pour horizon

Idir Ouguindi est l’un des fondateurs de l’association Horizon des handicapés fondée à Ouarzazate en 1994. Il en a été le secrétaire général pendant de longues années pour aujourd’hui occuper la fonction d’enseignant d’économie au lycée technique Anoual AÏn Chok de Casablanca. Atteint par la poliomyélite à l’âge d’un an, il a réussi à faire de son handicap une force qu’il veut mettre aujourd’hui au service de l’évolution de la société marocaine afin qu’elle devienne plus solidaire, plus fraternelle, envers les personnes porteuses d’un handicap. Un combat pour la maturité du Maroc.

Ecouter Idir nous raconter l’histoire de l’association Horizon des handicapés de Ouarzazate, dont il est l’un des fondateurs, c’est entendre l’histoire du handicap au Maroc. Il est le personnage emblème qui réunit dans sa vie les maux qu’une société est capable de réserver aux a-normalités de ses membres et les bienfaits que les individus de cette société sont capables d’offrir à ceux qui souffrent parce qu’ils sont différents.

Les épisodes de sa vie résonnent entre eux d’un seul et même récit qu’il faut bien reconnaître comme épique puisqu’il nous parle du défi posé à tout homme et toute femme en existence dans ce monde violent et vibrant : le récit du redressement de l’humain. Parce que des mains et des cœurs l’ont soutenu quand il le fallait, Idir a pu quitter le sol où il se traînait alors enfant pour se mettre debout et ainsi marcher dans sa vie. Et c’est parce qu’il a vu, face à face, le visage de la discrimination, du refus de l’autre différent, qu’Idir a décidé de hisser plus haut que tous son niveau de compétence, son degré d’endurance et sa note d’entêtement. Et son entêtement d’aujourd’hui, c’est de ne plus accepter que d’autres vivent ce qu’il a vécu, c’est que son pays, le Maroc, change vraiment et accepte les personnes handicapées comme des citoyens à part entière.

Parti de son petit village de la vallée de Dadès où il est né en 1961, emmené par des parents aimants jusqu’à la capitale pour y rencontrer son premier allié, Mme Vidal, une assistance sociale qui le mènera jusqu’à l’appareillage, c’est à dire l’autonomie pour s’engager dans la vie, Idir a aujourd’hui dans la tête le plan précis et clair de ce que l’Etat marocain devrait faire pour enfin assumer sa responsabilité vis à vis de ces près de 10 % de sa population en situation d’handicap. Cette connaissance globale du sujet, il la doit à tout son parcours, depuis la fondation de l’association Horizon des handicapés en 1994 à sa participation à cette commission de la société civile qui a travaillé, avec le soutien de l’Union européenne, à l’étude et à l’élaboration d’un texte de loi sur l’handicap, transversal à tous les ministères concernés.

Son parcours prend d’emblée sa dimension symbolique au sortir du concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure de Marrakech pour devenir enseignant d’économie. Alors qu’il est reçu 3ème sur 1600 candidats, il se présente au centre de formation pour entamer son cursus, le directeur de l’établissement lui interdit d’y rentrer en lui disant, face à face : “Je n’ai pas d’élèves professeurs handicapés chez moi”. Cette phrase restera gravée à jamais dans sa mémoire et fonde son engagement militant.

Il était donc naturel que 3 volontés se retrouvent réunies à Ouarzazate pour mettre en oeuvre une réponse durable pour toutes les personnes handicapées.

“Soeur Francesca qui était assistante sociale à l’hôpital Bougafer et qui portait presque tous les maux de Ouarzazate. Moi, en tant qu’handicapé qui a eu la chance d’avoir quelqu’un qui m’a soutenu et ce vécu face à ce directeur d’école, et Pierre qui était confronté dans sa chair au handicap, puisqu’il sortait d’un accident de la route.”

L’association Horizon des handicapés se fixe comme priorité d’assurer l’essentiel, c’est-à-dire l’appareillage qui permet la mobilité et l’autonomie. Soutenu par des partenaires comme Handicap International, et en quelques années seulement, ils réussissent à mettre en place un service complet d’accompagnement du handicap, le seul dans toute la région Souss Massa Drâa.

Idir nous rappelle qu’à l’époque de sa jeunesse, la cause du handicap à l’époque était à la charge du ministère de la santé. Cela signifiait que le handicap était considéré comme une maladie. L’approche de la société était donc caritative, fondée sur la pitié. Dernièrement, l’approche droit est apparue et pose désormais clairement le principe que c’est à la société de s’adapter pour accueillir les personnes handicapées.

Cependant le temps d’évolution de la société marocaine est ce qu’il est et le combat est de longue haleine.

Idir Ouguindi s’est forgé un caractère solide qui lui a permis d’affronter les défis de l’existence. Depuis la position où la vie l’avait placé, il a suivi le chemin du redressement, et sans aucune doute il doit se sentir fier d’être parvenu là où il est. Il a laissé de côté l’amertume vis à vis de cette société qu’il a fallu réveiller pour qu’elle accepte l’évidence de la fraternité entre tous ses membres, ou, à tout le moins, la nécessité de solidarité.

Le combat est loin d’être gagné. A ce jour, le texte de loi transversal qui a été élaboré par le collectif d’associations dont Horizon des handicapés est l’un des initiateurs est toujours dans l’attente d’être mis à l’ordre du jour du parlement. Le dialogue avec le gouvernement n’est pas très dynamique mais la volonté du militant vrai demeure inébranlable et c’est ce qui compte en dernier ressort. Les évolutions de toute société ont leur propre rythme, bien souvent lent et laborieux, mais toutes ont besoin d’un horizon lumineux pour avancer, pour se forcer à changer et ainsi dépasser les habitudes ou les peurs. Lui comme tant d’autres sont finalement là pour marquer le point d’arrivée de cet indispensable redressement éthique auquel toute société humaine est appelé.

Crédit Photographie : Abdellah Azizi
www.azifoto.com

2 commentaires
  1. Merci pour votre témoignage qui me ramène quelques années en arrière lors de mon séjour à Tabounte avec ma famille .Je suis venue participer à l’association Horizon avec les Soeurs Francesca et Bibiane et le “pacha” de Ouarzazate dont je ne sais pas écrire le nom Sebai M’gid. Mille excuses. Les réalisations m’ont toujours émerveillées tellement l’attitude des membres étaient des plus humbles mais aussi tolérante et aimante. Je suis très heureuse de savoir que l’association continue à œuvrer.

    Cordialement avec un chaleureux bonjour à tous.

  2. Merci pour ce merveilleux article… Et que de souvenirs pour moi… Mes premiers échanges avec un pays… Et l’amour développé au fil du temps pour une communauté incroyable.

    J’ai eu la chance de connaître Sœur Francesca, d’avoir partagé le repas et la fête au centre Horizon en 1994. D’avoir rencontré Mr Pierre katrakazos. Je le dois à mon papa qui a participé à sa création Mr Houlliez Alain, orthoprothesiste en collaboration avec le Dr Bruandet.

    Aujourd’hui encore quand je reviens au Maroc, à ouarzazate plus précisément, j’ai l’impression d’entendre encore le rire de chacun.

    Un grand merci.

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