Mehdi Moutia – Le Maroc change. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est tout simplement un choc culturel. Le marocain qui a vécu dans le conformisme de sa société conservatrice a du mal à accepter quelqu’un de différent, parce qu’on ne lui a jamais appris à le faire. Le Maroc souffre de son manque d’éducation, et son peuple n’a pas été préparé à la mondialisation à laquelle il s’est ouvert.
Le débat prend malheureusement une allure extrémiste, mais des deux côtés. Il ne faut pas traiter quelqu’un d’homosexuel d’animal, de diable … ou quoi que ce soit d’autre car ce n’est pas un choix qu’il a fait mais c’est tout simplement ce qu’il est. C’est ce genre d’argument, avec d’autres, qui doivent être mis en avant dans le débat pour atteindre un résultat constructif. Car d’un autre côté, il ne faut pas non plus dire de quelqu’un qui pense du mal des homosexuels qu’il est un attardé et anti-progressiste. Il nous faut savoir tirer profit de ces débats pour éviter une confrontation haineuse et stérile qui ne fera qu’enfermer un peu plus notre société dans sa propre douleur.
Il est nécessaire de trouver des compromis
MM – Il est nécessaire de trouver des compromis et de refuser toutes les extrêmes. Il existe un juste milieu et nous devons le trouver tous ensemble. Il est impossible de changer les mentalités du jour au lendemain mais on peut faire en sorte qu’elles s’adaptent peu à peu. En vérité, face à ceux qui ne jeûnent pas pendant le ramadan, et alors que le ramadan est l’un des cinq piliers de l’Islam, cela devrait inspirer la même réaction que face à ceux qui ne font pas les cinq prières, autre pilier de l’islam. Or nombreux sont ceux qui ne font pas ces cinq prières et cela ne crée aucun débat. Il est donc important à la base que l’éducation religieuse aille dans le sens de ces libertés individuelles tout en mettant des limites pour garantir l’équilibre au sein de la société.
Nous pourrions par exemple commencer par dépénaliser l’homosexualité mais sans pour autant permettre son affichage dans un lieu public. Il nous faut annuler les sanctions contre ceux qui ne jeûnent pas sans pour autant leur permettre de manger, boire ou fumer en public. On pourrait ainsi autoriser des endroits pendant le ramadan où il serait possible de manger, boire et fumer. Et même si quelqu’un mange en public, la sanction devrait s’éloigner de la pénalisation classique qui transforme l’acte en crime. Par exemple, la sanction devrait être un travail d’intérêt général comme préparer le ftour pour des pauvres
Nous ne devons pas brûler les étapes. Il y a plusieurs alternatives, plusieurs solutions autres que ce que le débat public actuel nous propose. L’Etat doit se mobiliser pour trouver un compromis et des solutions justes pour les deux côtés. Il faut reconnaître que le changement est en train de s’opérer à l’intérieur de la société marocaine et il faut comprendre que certains ont peur de ces changements. Il est temps de leur expliquer les bienfaits de tels changements, de les convaincre qu’il est possible de vivre ensemble en paix, d’accepter nos différences et d’être heureux, tous ensemble.
Le principal changement est celui qui nous emmènera vers la tolérance
MM – La jeunesse marocaine a envie de découvrir de nouvelles choses, de s’exprimer, d’être créatrice. Cette dynamique se ressent comme un élan et c’est la meilleure chose qu’un pays puisse avoir. Le changement devant lequel le Maroc se trouve va dans ce sens : chacun doit avoir la possibilité de s’exprimer et d’aller vers son rêve et son idéal de vie.
Le principal changement est celui qui nous emmènera vers la tolérance, vers une complète tolérance et notamment envers tous ceux qu’on appelle les minorités ou les défavorisés. Soyons clairs là dessus et posons nous vraiment la question : pourquoi n’ont-ils pas le droit d’être eux-mêmes et d’être heureux ainsi ? Nous nous permettons de juger des personnes pour ce qu’ils sont et ainsi nous répétons des conflits que tant avant nous ont combattus. Combattre les homosexuels, c’est faire ce que les Etats-Unis jadis, ou l’Afrique du Sud et tant d’autres, ont fait aux personnes de peaux noires. Nous devons apprendre de nos erreurs collectives, des erreurs que les humains ont commises depuis la nuit des temps. Le changement pour le Maroc, c’est apprendre de nos erreurs.
Et je suis certain que ces changements là feront du bien au Maroc.
MM – La clé sera dans le renouveau du monde politique et dans l’engagement citoyen. Le Maroc a besoin de personnes capables de mener l’opinion publique vers plus de tolérance et d’ouverture, vers plus de respect d’autrui. Il nous faut des personnes capables d’expliquer au peuple que chacun est libre d’être ce qu’il est.
Nous sommes différents et la différence est une richesse
Nous sommes différents et la différence est une richesse. Pourquoi avons-nous peur de quelqu’un de différent de nous ?
Le Maroc a besoin d’un nouveau souffle politique capable d’instaurer un équilibre dans la société. La première étape pour moi serait de dépénaliser, je l’ai déjà dit, ou du moins revoir la pénalisation, des droits liés aux libertés individuelles tout en garantissant au peuple un respect de la majorité musulmane.
MM – Ce n’est pas la question de prendre son temps, c’est juste une question d’étape. Si on veut passer directement à l’étape finale, cela va créer un écart entre les deux tranches de la société. Alors oui le Maroc se doit de prendre son temps mais se doit aussi de commencer à agir dès maintenant.
De plus, je ne pense pas que nous soyons dans une situation de crise. Ce sont les réseaux sociaux qui amplifient ces débats. Ce genre d’affaire a toujours existé au Maroc et se trouvait vite réglée. Maintenant, puisque tout le monde regarde, les politiciens rentrent dans un jeu pour affirmer leur position politique et ainsi profiter de la médiatisation de ces affaires, à quelques mois des élections. Je trouve dommage que les politiciens soutiennent un point de vue archaïque juste pour récolter des voix.
Affirmer la séparation entre le domaine public et ce qui ressort du domaine privé
La stabilité du Maroc est certes exemplaire dans la région mais je redis que nous avons besoin de temps. Nous devons nous offrir ce luxe pour garder notre stabilité. Nous devons trouver les moyens et les ressources pour changer une société. Je fais donc appel aux jeunes pour s’engager dans la vie politique, en adoptant une politique qui fera changer les choses étape par étape, tout en assurant aux marocains le respect et la paix dans lesquels ils souhaitent vivre. Chercher à aller plus vite peut être une erreur. Néanmoins, on doit dès maintenant commencer à agir pour qu’un jour nous puissions jouir de nos libertés, sans être jugés et traités de criminel. Interdire sans pénaliser pourrait être une première étape.
Je sais bien que la solution est complexe et c’est pour cela qu’il me semble important, en plus de la dépénalisation, d’affirmer plus fortement une séparation entre ce qui est du domaine public et ce qui ressort du domaine privé.
Pour l’affaire Nabil Ayouch ou Jennifer Lopez, cette notion aurait fait la différence. Le film Much Loved est destiné au cinéma. On paye pour voir le film. C’est une action volontaire et consciente. Au delà des arguments du genre “c’est la réalité”, j’aurai condamné ce film s’il passait à la télévision public. Mais c’est un film. On va voir le film en pleine conscience et le fait de l’interdire au moins de 18 ans est pour moi une façon de classer l’affaire. Pareil pour Jennifer Lopez : qu’est ce qu’on attendait d’une chanteuse qui fait l’éloge de ses fesses ? Maroc culture, l’organisateur du festival, doit admettre son erreur dans le choix de l’artiste. Ils ont surement procédé par notoriété, mais dans ce genre de concert “public”, et j’insiste sur le mot, le choix doit se faire avec d’autres critères. Dans le cas contraire : il faut organiser un concert privé où l’on paye pour rentrer de son plein gré et en pleine conscience. Libre à chacun d’aller voir Jennifer Lopez ou même Nikki Minaj.
Le mieux est donc de séparer les deux notions, privées et publiques, pour ne plus se retrouver dans des débats stériles où tout le monde a raison.
MM – On peut dire que je le suis. Hormis une partie de la jeunesse qui se comporte mal et fait le buzz sur internet (il n’y a malheureusement que le mal qui réussit à faire le buzz), il existe beaucoup de jeunes marocains conscients et éclairés. Des jeunes qui militent, qui créent des projets, qui participent concrètement au changement dans leur entourage.
Et ce qui me rassure surtout, c’est qu’il y en a de plus en plus. Si chacun donne un peu de lui-même, s’engage dans l’avenir de son pays et essaie d’influencer son entourage, nous arriverons à un moment où la société marocaine aura compris les enjeux et les avantages de la modernité, et la notion du vivre ensemble prendra petit à petit sa place au Maroc.
9 commentaires
Ce n’est pas la jeunesse qui se conduit mal, mais les adultes, et les politiques en premier, qui donnent un mauvais exemple aux jeunes.
Sages paroles. Bravo Mehdi.
Bravo ! Bon espoir pour le Maroc.
J’adhère complètement !
Je voudrais bien y croire …
On peut dire que notre beau pays le Maroc a le vent en poupe (il est pousse vers de beaux rivages).
Bravo jeune homme.
Commençons par l’éducation et la lutte contre la pauvreté … Les 2 piliers de la tolérance.
Maroc & société : Enfin une interview aux propos pragmatiques ! Le gars (non politisé ni azimuté) apporte des solutions toutes simples pour faire cohabiter des minorités avec une majorité conservatrice musulmane sur des débats de société actuels tels que la rupture du jeûne ou l’homosexualité. Il a 23 ans …