Cette volonté farouche de pacification alla de pair avec une politique dites des « grands Caïds » afin d’asseoir la nouvelle autorité centrale sur des relais forts et durables dans les différents territoires du royaume. Le colonel Henri Berriau, adjoint du général Lyautey lors de la conquête du Maroc, résuma clairement cette intention du Protectorat français :
Le général Hubert Lyautey, Résident général au Maroc (1912-1925), confirma lui-même cette position. Il afficha sa détermination à accorder son soutien inconditionnel à Thami, élu unique collaborateur favori de la France.
Thami El Galoui témoigna sa reconnaissance à Lyautey en des propos chargés d’émotions et de loyauté lors de son départ du Maroc, laissant ainsi sa fonction de Résident général au Maroc à Theodore Steegde (1925 – 1929) :
Homme de politique avisé, Thami savait dès le début que la France aurait besoin de lui. Il dévoila ses attentes le 08 janvier 1908 à M. Lassalas, directeur de la Compagnie Marocaine à Marrakech :
La France soutenait officiellement Thami qui s’impose comme son collaborateur incontournable dans la soumission des tribus hostiles au pouvoir central et au protectorat français notamment dans le Sud. Toutes les actions et les batailles menées par Thami étaient en priorité au service de la France. Le 07 septembre 1912, c’est ainsi qu’il contribua à la libération des sept français pris en otage à Marrakech par le grand chef de fil de la résistance dans le Sud Moulay Ahmed El-Hiba. La même année, il reçoit avec son frère Madani la décoration de chevalier de la Légion d’honneur des mains du général Lyautey.
En janvier 1913, Thami chassa El-Hiba de Taroudant. Cette défaite débarrassa la France de son ennemi juré dans le Sud. El-Hiba, errant et abattu, se réfugie à Kerdous dans l’Anti Atlas jusqu’à sa mort le 23 juin 1919.
Thami poursuit ses compagnes militaires de pacification au service du Protectorat, du Makhzen et, in fine, pour affermir sa domination. La France lui décerne la croix de guerre en 1914-1918 avec deux palmes le 16 décembre 1916 après la campagne dans les Sektana et 18 juin 1917 à Tiznit.
Entre 1919 et 1920, Thami et son neveu Si Hammou comme commandant en second, fut en tête d’une Harka pour punir et soumettre les tribus révoltées de Tafilalet, Ziz et Todgha. Rentré triomphant de cette dernière compagne, il mit fin à sa carrière militaire.
La consécration de la gloire de Thami se confirme avec la chute de ses deux autres grands caïds rivaux. Taïeb El-Goundafi meurt en 1924 après l’effondrement de son fief, symbole de son pouvoir. Abd-El-Malek El-Mtougui disparut lui aussi en 1927.
Le pacha de Marrakech, superpuissant Caïd sans rival, tourna la page des luttes dont il sort victorieux. Son autorité fut désormais suprême.
Thami, le Seigneur riche, fastueux, prodigue et séducteur
L’ascension fulgurante de la domination politique de Thami s’accompagnait avec l’édification de sa puissance économique. Il avait cumulé une fortune colossale en argent, terres, actions dans de nombreuses sociétés dans tout le pays … A part les lourdes taxes imposées aux tribus sous son contrôle, Thami recourait des fois à la spoliation et à l’expulsion des tribus de leur terre notamment celles vaincues.
La poésie chantée lors du rituel d’Awach, danse traditionnelle amazighe au sud du Maroc, évoque ces temps douloureux où les confiscations des biens par les auxiliaires des Glaoua opprimaient les tribus :
Le Pacha super puissant s’impose surtout comme partenaire économique privilégié de la France, omniprésent et acteur suprême dans tous les secteurs : on le retrouve associé de Jean Épinat, avec qui il avait de fortes relations, dans La société minière de Bou-Azzer, président de l’Omnium Nord-Africain ou ONA, président honoraire de l’Omnium Industriel du Maghreb, vice-président de l’Hygienic Drinks Compagny of Casablanca, distributrice de Coca-Cola au Maroc… Thami détenait aussi le monopole des produits aussi élémentaires que le sucre, le thé, les olives, les oranges …
Conscient de l’importance stratégique de la presse, au début des années 1930, le Pacha de Marrakech s’assure le contrôle exclusif des journaux marocains comme le Petit Marocain, la Vigie Marocaine, le Courier du Maroc et l’Echo du Maroc. Ces quotidiens appartenaient à M. Pierre Mas, le magnat de la presse française au Maroc dans la première partie du 20ème siècle.
Thami El-Glaoui, issu d’une tribu berbère de la montagne très sobre, s’érige en un seigneur qui cultivait un sens de raffinement et d’élégance digne de son rang conquis parmi la haute société :
Adulé d’un large public étranger, Thami côtoyait un cercle de célébrités mondiales d’horizons divers : politiciens, acteurs, artistes, musiciens, gens de lettres…. Comme Joséphine Baker, Edith Piaf, Charlie Chaplin, Diana et Duff Cooper, Paul-Louis Weiller, Edward G. Robinson, Colette et son mari Maurice Goudeket …
Thami a aussi rencontré Winston Churchill, au début de 1930. Une forte amitié s’est développée entre eux. L’ex-premier ministre britannique adressa une invitation personnelle datée du 4.05.1953 à son ami Thami pour assister à la cérémonie du couronnement de la Reine Elisabeth II le 2 juin 1953 :
« Cher Glaoui,
Winston S. Churchill
J’ai compris que vous alliez vous trouver en Angleterre cet été au moment du couronnement. Si c’est vraiment le cas, je serais heureux, si cela vous intéresse de voir la procession royale du 2 juin 1953, que vous soyez mon invité personnel. J’espère que vous serez en mesure d’accepter cette invitation et dans tous les cas, je suis impatient de vous voir quand vous serez dans ce pays. »
Thami se rendit alors à Londres muni de cadeau très précieux, dédiés à la reine, fabriqués par des artisans de Marrakech comme une tiare d’or sertie d’une douzaine d’émeraudes, grosses comme des œufs de pigeons et de brillants pour la Reine, et pour le prince Philip, une dague marocaine gainée d’or et sertie de pierreries, selon les dires d’Abdessadeq El-Glaoui. Mais ces cadeaux furent refusés pour motif que la visite de Thami était non officielle et qu’il était un invité personnel de Churchill.
Thami El Galoui fascinait les occidentaux
Le Pacha de Marrakech disposait d’immenses ressources pour mener une vie de faste et de prodigalités extravagantes. Plus puissant, plus riche et surtout plus influent jusqu’à pénétrer au cœur de l’Hexagone où des partisans français connus sous le nom de « la tribu Glaoua sur l’Oued Seine » l’adoraient comme un petit Dieu.
L’envoutement des européens pour Thami qui était pour eux une idole exotique, est dû surtout à son caractère de grand seigneur trop prodigue.
« Aux invités européens, Thami donnait, littéralement, tout ce qu’ils voulaient, que ce soit une bague en diamant, un cadeau en argent en or, ou une fille ou un garçon berbère du haut Atlas. »
Gavin Maxwell – El-Glaoui dernier seigneur de l’Atlas
Il fascinait les occidentaux et avait un ascendant irrésistible sur eux. Lui, qui gouvernait depuis Marrakech, ville impériale, féerique à l’image de son mythe. Il introduit ses admirateurs européens dans cet univers merveilleux de charme et d’enchantement. Il leur fait vivre un orientalisme réel en leur faisant découvrir un Maroc authentique et lumineux dans ses paysages vivants, son architecture originale, ses foisonnants jardins, sa gastronomie exquise, ses costumes captivants, un univers intime du harem, ses hammams semblables à ceux des sérails des grands califes… Un ailleurs rêvé, fantasmé, imaginé qui n’est plus inconnu mais vécu dans l’espace de vie de son excellence Thami El-Glaoui.
Sa résidence officielle à Marrakech, l’impressionnante Dar El-Bacha, est un chef d’œuvre architectural mariant l’ingéniosité de l’artisan marocain et la décoration empruntées à l’Europe ; son magnifique entrée principale ornée de portails en bois sculpté, ses jardin luxuriants, ses nombreuses cours intérieures entourées de murs épais, ses pièces avec des meubles en bois minutieusement travaillés et ses salons finement ornés avec des tapis marocains d’une originalité inégalable.
Deux maisons ont été construites dans les jardins extérieurs de son palais. La première a été bâtie selon les anciennes traditions de l’architecture marocaine pour offrir toutes les conditions de confort aux hôtes locaux et ceux venus des pays arabes. La seconde accueille les visiteurs occidentaux. Elle a été conçue par des architectes italiens. Thami y a introduit avec délicatesse toute la somptuosité qu’il a découverte dans les palaces et les maisons de luxe en Europe.
Le maître des lieux fascinait ses hôtes par son hospitalité singulière. Il leur fait goûter les délices avec un rituel propre à Dar El-Glaoui. Des fils interminables de serviteurs portants des plats exquis et appétissants de la gastronomie marocaine. Thami exige la délicatesse et l’esprit créatif de ses cuisinières. Du thé marocain préparé et servi par des mains expertes avec de l’ambre gris, du sumac, du thym, de la fleur d’oranger et de la menthe …
C’est dans ce décor féérique que flânait Thami en image de calife de mille et une nuit, enivrant ses hôtes européens plongés dans un monde idyllique :
« Voici El hadj Thami Glaoui, pacha de Marrakech et frère cadet du Madani, fastueux seigneur qui aime la guerre, les constructions splendides, tous les luxes de son pays et du nôtre, les belles armes, les automobiles, et qui, avec son long visage maigre, ses grands yeux, son air félin, doux et violent tout ensemble, son sourire énigmatique, l’extrême recherche de sa toilette, rappelle assez bizarrement sur cette frontière du Sahara un seigneur du seizième siècle de France ou d’Italie. »
Frères Tharaud – Marrakech ou les seigneurs de l’Atlas
Le Dom Juan berbère
Thami, seigneur voluptueux auprès des occidentaux, fut aussi un séducteur insatiable auprès des femmes. Il a fasciné les européennes qui l’approchaient avec une admiration où la réalité et le fantasme s’entrecoupent.
« Nous pénétrons dans ces salles somptueuses où chaque détail atteint le comble du raffinement, où le luxe dépasse tous les luxes de l’Orient, où tout a été créé par lui et pour lui. Il s’affirme grand et noble dans sa robe simple, sous le capuchon qui sertit sa tête brune, avec ses yeux d’aigles et ses mains de duchesse, ce grand féodal, marquis de Carabas de tout le pays Glaoua, seigneur de l’Atlas. »
Marie-Thérèse Gadala
Ce Don Juan berbère jouissait d’une humeur plaisante auprès des femmes. On ne manquait pas d’anecdotes à son propos. Lors d’une soirée, il glissa quelques mots à une jeune parisienne qui fit, en aparté, un commentaire le rabaissant mais qui semblait surtout s’intéresser à une précieuse bague que le Pacha portait :
« Madame, ajouta-t-il en excellent français, une pierre comme celle-là n’est pas faite pour un cochon comme moi. Permettez-moi de vous l’offrir. »
Jean du Pac – Anecdotes Marocaines
Grand passionné de l’Opéra, il adorait également la danse berbère d’Awach. Une danse traditionnelle qui avait connu un essor remarquable dans l’ensemble des territoires Glaoua. Les soirées de Thami étaient rythmées par Awach dont Telouet, fief natal des Glaoua, était le centre de rayonnement. Lors de ces rituels festifs tribaux, Thami dansait et chantait avec exaltation, s’amusant à improviser de poèmes berbères dans une béatitude collective spontanée.
Séduit par le parcours de Golf Sporting Club Vichy qu’il visita en 1913, Thami El-Glaoui ordonna de créer le même parcours à Marrakech. Dessiné par Gustave Golias et Arnaud Massy, le pacha inaugura en 1927 les 4 premiers trous du Royal Golf Marrakech.
Volant sur les ailes de ses désirs démesurés et ses caprices, Thami était un amateur de haute horlogerie et fidèle client de la prestigieuse marque de montres Louis Cartier. Entre 1931 et 1932, le Pacha commanda à la Maison Cartier une marque de montre unique en son genre baptisée Pasha. Une montre résistante pour un homme puissant, qui aime la lumière, assume ses excès et revendique sa force de caractère.
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