Niché sur les roches contre lesquelles le ksar a vu le jour il y a plusieurs siècles, là en cet endroit savamment choisi pour proposer un lieu de halte aux caravanes chamelières d’alors qui reliaient l’Afrique subsaharienne aux grandes cités du Maroc, ce nouvel équipement culturel va pouvoir entamer ses missions au service de la valorisation et de la sauvegarde du patrimoine immatériel du pays.
Ici l’oralité est en effet envisagée comme l’emblème de l’ensemble de ce patrimoine immatériel, richesse universelle trop souvent ignorée, que l’UNESCO a défini en 2003 comme le regroupement des traditions orales, des arts du spectacle, des pratiques sociales, rituels et événements festifs, des connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou encore des connaissances et savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel.
Cette ouverture aura été un moment de fête précieux pour mettre en résonance des publics différents, des jeunes de ce petit bout de territoire rural du sud est marocain et un aréopage de personnalités venues des grandes villes du Maroc ou d’autres pays. Toutes et tous auront pu savourer le sens de l’accueil propre à la culture locale et ses talents à générer d’emblée une atmosphère d’élégance et d’authenticité notamment via le déploiement de tous ses arts coutumiers comme la décoration, la gastronomie, la musique …
La Maison de l’Oralité a ainsi dévoilé l’agencement de ses pièces dans le dédale d’une ancienne bâtisse rénovée afin de décliner au visiteur un parcours de découverte autour de la thématique du tissage, premier thème de travail choisi par l’équipe de chercheurs réunis par le projet. Cette itinérance pédagogique s’organise autour de huit étapes, huit moments clés qui façonnent la vie d’un tapis. Le premier jalon surprendra le public puisqu’il s’intitule faire tomber la pluie, cet événement crucial sans lequel il n’y a pas de moutons pour fournir à la femme la laine nécessaire à son ouvrage, et le dernier jalon consistera en la tombée du métier, ce moment singulier où le tapis est mûr pour quitter le cadre sur lequel il aura été tissé par les mains de l’artisane. Entre ces deux repères, le visiteur suivra le fil des étapes intermédiaires : le temps des bergers, tondre les moutons et nettoyer la laine, réaliser les pelotes de laines, l’art de la couleur, monter le métier à tisser, tissage et magie.
D’autres recoins de la Maison de l’Oralité sont mis à profit pour mettre en valeur plus directement les joyaux de l’oralité amazighe comme les poèmes de la poétesse Mririda N’Ait Attik originaire de la vallée du Tassaoute ou bien un passionnant documentaire vidéo réalisé par une équipe de jeunes professionnels d’Aït Ben Haddou pour recueillir les récits mémoriels de leurs anciens sur l’histoire de leur territoire et de leur communauté.
Enfin, la Maison de l’Oralité, comme tout centre culturel qui se respecte, a mis en place un fonds documentaire dédié au patrimoine immatériel marocain avec entre autres ouvrages ceux publiés spécialement pour l’occasion sous un nouveau label éditorial, la collection Awal. Un premier livret rédigé par Mustapha Merouan rend hommage aux chants d’amour amazighs. Un deuxième livret intitulé Regards croisés mêle les travaux de deux photographes, Abdellah Azizi, originaire d’Ouarzazate, et Ken Wong-Youk-Hong, établi en France, tous deux s’étant retrouvés dans ce sud est marocain pour porter témoignage des bergers, conteurs poètes et tisseuses de la confédération des Aït Ouaouzguite, l’une des communautés amazighes de la région.
Un troisième ouvrage retrace l’histoire du ksar d’Aït Ben Haddou, ce magnifique écrin architectural qui accueille aujourd’hui cette ode au patrimoine marocain.
L’évidente beauté de ces traces d’un passé marocain méconnu
L’un des moments forts de ces journées d’inauguration aura été sans aucun doute cette rencontre dialogue entre le public et trois intervenants venus témoigner chacun à leur manière de ce territoire culturel du sud est marocain, si vaste et pourtant si fragile car justement porté par l’oralité, par l’expérience pudique des existences, ou par des traditions naturellement peu adaptées à résister au temps et à l’assaut des vagues de la modernité.
Danièle Jemma Gouzon, une ethnologue de carrière installée depuis quelques années dans la vallée du Dadès, a raconté sa passion des bijoux traditionnels et notamment ceux de la tradition amazighe. Ahmed Skounti, anthropologue de renommé rattaché à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat, a fait écho à son enfance nomade en détaillant le tableau d’une vie typique de berger dans les montagnes de l’Atlas. Enfin, Mustapha Merouan, jeune doctorant sur le thème de l’oralité et animateur du centre de recherche au sein de la Maison de l’Oralité, a cité quelques extraits de son ouvrage dédié aux chants d’amour amazighs.
Ces exposés ont touché l’auditoire, majoritairement marocain et urbain, et les nombreuses réactions exprimées ont très vite dessiné un hiatus entre l’émotion ressentie face à l’évidente beauté de ces traces d’un passé marocain méconnu et l’impossibilité à trouver une évidente manière d’inscrire ces retrouvailles avec son passé collectif dans un présent moderne à vivre et un futur incertain à construire.
Ainsi vu en un tout, il se voit en beau, et il sourit à la vie.
Toutes ces interventions et ces questionnements ont finalement fait résonner en sourdine les motivations profondes qui sous-tendent le projet de Maison de l’Oralité et les causalités qui ont justifié son lancement, et peut-être même son urgence.
Trop longtemps en effet le marocain a ignoré l’ampleur et la richesse diversifiée de son passé, ce vaste parchemin sur lequel s’est écrit les mille et une histoires de son récit collectif.
Trop longtemps il a considéré les trésors d’autrefois, et ceux du monde rural en premier lieu, comme des artifices utiles à la seule séduction de l’autre étranger.
Trop longtemps ont été voilées les couleurs d’un peuple pourtant fondamentalement mosaïque sur une terre à la croisée des vents de l’humanité.
Trop longtemps même le marocain a refusé de se demander pourquoi il avait détourné le regard de lui-même, alors qu’il illustre mieux que personne de par sa longue histoire l’humain arlequin au manteau bariolé pour reprendre le symbole cher au philosophe Michel Serres tel que développé dans son célèbre ouvrage Le Tiers-Instruit.
L’Arlequin porte sur lui tous les déchirements que son cheminement dans le monde a inscrits sur son long manteau, toutes les failles, toutes les brisures de son être coincé dans cette existence incarnée. Mais il a fait le choix de se voir lui-même dans une totalité, celle justement qui aura juxtaposé toutes ces parcelles multicolores accumulées tout au long de son histoire, toutes ses expériences, tous ses apprentissages, ses rencontres, ses alliances, ses métissages … Et ainsi vu en un tout, il se voit en beau, et il sourit à la vie.
Eclairer, au présent, les beautés de toutes ses racines
Face au vertige de ces constats, la Maison de l’Oralité d’Aït Ben Haddou a choisi de se concentrer sur l’essentiel : éclairer, au présent, les beautés des racines de ce qui, hier, a fait le Maroc, posant ainsi le postulat qu’une présence réussie dans la vie, et dans le monde, se fonde sur une identité assumée et belle.
Il y a urgence en effet, car quoi qu’on en pense, le monde est devenu global et surement le deviendra-t-il de plus en plus. A l’heure où l’évolution des consciences semble ainsi nous conduire à devoir désormais nous épanouir dans une identité nomade, plutôt que figée, un préalable s’impose à tous, communauté comme individu : c’est l’appropriation de ses propres racines, et donc une pleine réconciliation avec toutes d’entre elles, toutes, qui permet la maitrise de l’équilibre dans ce si complexe exercice d’être au monde, et d’aller de l’avant.
Ce n’est ainsi pas vraiment un hasard si le premier thème de travail de la Maison de l’Oralité, alors offert à la découverte de son public marocain, aura été le tissage.
Cet artisanat traditionnel est non seulement l’un des arts majeurs de la région sud-est du Maroc mais il illustre à merveille cette réconciliation désormais à l’œuvre entre les nombreux fils du patrimoine marocain, la mise en harmonie de leurs couleurs respectives, l’entrelacement de leurs saveurs d’âme, dans un délicat mais vital exercice au service du réenchantement du regard porté sur soi-même et de l’embellissement de son identité.
Beau vent à la Maison de l’Oralité !
A voir : Le site web de la Maison de l’Oralité
A lire : La Maison de l’Oralité du ksar d’Aït Ben Haddou : une première au Maroc
A visiter : La Maison de l’Oralité
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