Aït Ben Haddou est ainsi devenu la vitrine de cette architecture en terre si emblématique du Sud Est marocain avec ses kasbahs et ses ksour, ses greniers et autres bâtisses qui pendant des siècles ont abrité la vie des communautés d’alors, amazighes, arabes, juives, sub-sahariennes ; tout un peuple bigarré qui a façonné ces innombrables petits villages égrainés le long des vallées, au fil des oueds, des palmeraies, sur les flancs des montagnes rocailleuses de l’Atlas et jusqu’aux sables du grand désert.
Ksour : Un ksar, ou ighrem, au pluriel ksour, ou igherman, est un village fortifié d’architecture amazighe que l’on trouve en Afrique du Nord.
Le déambulement dans les ruelles du ksar laisse le visiteur envoûté par le charme discret du pisé, ce torchis de terre et de paille qui recouvre les façades des maisons et sur lequel le temps semble s’être figé. Même ce gros rocher isolé au bas d’un escalier passe désormais inaperçu alors que son appellation, le « rocher d’Abraham », tel que rapporté par les anciens du village, illumine le souvenir d’une époque où les habitants de confession juive se réunissaient autour.
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Et tout comme la terre de ces demeures aujourd’hui vides, les traditions du Maroc deviennent poussières si personne ne prête attention et effort à reconnaitre leurs valeurs et à tenter de préserver leur existence dans la vie moderne, et tout au moins dans les mémoires.
Telle est la mission de l’ONG marocaine We Speak Citizen qui s’est donné comme objectif, sous l’impulsion et l’animation dynamique de Loubna Mouna, enfant du ksar, de relever ce défi de faire vivre dans le présent quelques-unes de ces traditions d’antan qui ont forgé l’identité de ces communautés humaines.
C’est ainsi qu’en septembre 2022, l’ONG a ouvert au sein du ksar d’Aït Ben Haddou une Maison de l’Oralité afin de porter témoignage de l’art du tissage de tapis, de celui de la danse et de la poésie, et prochainement de l’art du bijou. Quelques années auparavant, leur attention s’était focalisée sur la mise en valeur du talent des femmes dans l’art de la gastronomie.
Pour y parvenir, l’ONG avait alors apporté son soutien au projet d’un groupe de femmes du ksar regroupées en association et désireuses de s’assurer un revenu via leur savoir-faire culinaire.
Une première étape du projet se concrétisera avec l’ouverture dans un jardin situé à la sortie du ksar du salon de thé « Tawesna ».
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Très vite, les premiers visiteurs ont validé les bienfaits de ce lieu pour un moment de repos sous l’ombrage des palmiers. Et très vite, les demandes se sont fait pressentes pour y déguster des collations. Une deuxième étape pouvait se lancer en vue de la transformation du salon de thé en un véritable restaurant apte à servir des repas complets aux visiteurs, et à le faire dans la durée.
C’est là qu’intervient Michel Georges et son propre talent dans l’art de la gastronomie et de la restauration. Depuis l’année 2020, Michel a mis son expérience au service de ces femmes afin qu’elles puissent consolider leur démarche et l’amplifier avec les meilleures chances de succès.
Une vie au service de sa passion pour la gastronomie
L’attrait de Michel pour la gastronomie relève tout simplement de la passion. Dès ses années de jeunesse, il en fait son premier métier et toute sa vie durant, il a poursuivi la découverte de ce vaste monde de l’art culinaire en abordant méthodiquement ses différentes facettes avec une même exigence de qualité, tel un artisan habité par le devoir d’exercer son geste avant tout en hommage à son art et en respect de toutes ces illustres figures, tous ces grands chefs cuisiniers, qui le représentent.
Elève à l’école hôtelière de Paris en 1962, il fait ses premiers apprentissages au restaurant du Fouquet’s en qualité de commis de cuisine et poursuit son parcours professionnel dans les cuisines de Paul Bocuse et de Joël Robuchon où il pratique autant les fourneaux que la gestion de salle.
Il répond ensuite à une proposition de travail en Allemagne au sein d’un établissement hôtelier de prestige et rejoint dans la foulée un nouveau restaurant intitulé « le Paris » qui s’ouvrait alors à Hambourg dans le cadre d’un vaste projet porté par le ministère français de l’agriculture de l’époque visant à promouvoir en Allemagne l’image gastronomique de la France. Cette grande ville portuaire du Nord de l’Allemagne allait devenir pour Michel sa base de vie, là où il rencontrera sa compagne et fondera sa famille.
Malgré ses nouvelles racines, la soif d’expérience de Michel ne se tarira pas et il multipliera les responsabilités au fil des années. Directeur de l’hôtel Intercontinental de Hambourg en 1972, alors âgé d’à peine 25 ans, il poursuit ses études en réussissant un master de restauration. Après un bref passage en Bavière où il se met à enseigner la restauration et l’œnologie, il part pour quelques années en Tunisie rejoindre le nouveau projet d’école hôtelière de Djerba.
De retour en Allemagne, il décide avec sa conjointe de se mettre à son compte pour ouvrir un établissement dans les environs de Hambourg. Le restaurant « le Relais » voit le jour et Michel y consacrera vingt-cinq années de travail acharné qui lui valurent l’obtention en 1990 de sa première étoile au Guide Michelin en consécration de son long parcours de passionné de la bonne cuisine.
Après un drame familial qui l’atteint au plus profond de lui-même, Michel fait une longue pause mais reprend du service en 2015 pour le compte de la Fondation allemande Senior Experten Service. C’est ainsi qu’en tant que bénévole, il part au Maroc pour une mission de trois semaines au sein de l’école hôtelière de Marrakech afin d’établir des bilans de compétences pour tous les professeurs de cuisine du pays. Il répète ces missions de formation et d’évaluation dans différents pays jusqu’au jour où il entend parler du projet de ces femmes d’Aït Ben Haddou.
Marier la tradition à la rigueur professionnelle
La feuille de mission de Michel est clairement établie : comment aider ces femmes expertes en cuisine traditionnelle à devenir des professionnelles de la restauration sur un site touristique majeur ? Comment les amener à maîtriser la gestion des achats, celle des stocks de nourriture ? Comment leur permettre d’inscrire leur travail dans une économie fonctionnelle qui repose sur une comptabilité basique mais solide ?
Comment surtout accompagner ces femmes à proposer des repas au quotidien à un nombre toujours croissant de visiteurs du ksar et de bien répondre à leurs attentes culinaires malgré la diversité des nationalités rencontrées.
Depuis 2020, séjour après séjour, Michel s’attelle à la tâche auprès de Laila et de Naida, les deux principales animatrices du projet Tawesna. Par petites touches, il leur délivre ses conseils sur les bonnes pratiques à mettre en œuvre, il leur suggère telle ou telle évolution pour améliorer le menu proposé. C’est ainsi qu’il les amène à mettre au point un burger, plat communément connu de tous, à base de produits locaux. Après quelques essais en cuisine, le burger amazighe voit le jour, servi dans un petit pain traditionnel cuit au feu de bois et agrémenté d’une salade typiquement marocaine. Michel y rajoute quelques saveurs raffinés pour singulariser le tout et voilà les burgers au poulet, à la viande hachèe ou végétarien prêts à être servis aux côtés des traditionnels et savoureux tajines comme celui au poulet citron ou bien cet autre agrémenté d’amandes et de dattes.
Une valorisation réussie du savoir-faire des femmes
Le restaurant Tawesna est aujourd’hui devenu une entreprise qui marche et illustre au mieux la signification de son nom en langue amazighe (Tawesna se traduit par l’expression savoir-faire). La cinquantaine de femmes du ksar d’Aït Ben Haddou réunies ont trouvé l’opportunité de valoriser leur savoir-faire culinaire, une valorisation identitaire face aux touristes mais aussi et surtout une valorisation économique. L’aventure associative a débouché pour certaines sur la construction d’un véritable projet professionnel et pour d’autres, l’initiative garantit au quotidien une source de revenu fort appréciable pour la vie de leur famille.
La réussite de Tawesna repose à la fois sur la motivation et l’engagement des femmes du ksar mais aussi sur la qualité de l’accompagnement proposé par l’ONG We Speak Citizen qui a fait le choix de mobiliser en la personne de Michel un haut niveau d’expertise pour aller soutenir cette initiative locale.
Pour Laila Azdou, animatrice dynamique du projet Tawesna depuis son origine, la fierté est grande. Elle peut désormais envisager le développement de l’activité avec l’ouverture d’un second lieu apte à permettre de proposer aux visiteurs des repas du soir. L’emplacement actuel, aussi charmant soit-il à flanc de la colline qui accueille le ksar, n’est en effet pas relié au réseau électrique, protection oblige d’un tel site classé patrimoine mondial. L’ambition est donc là, et si le labeur est vaste, le sourire demeure sur son visage.
Mais Leila garde dans un endroit de son esprit le dernier conseil que le Chef Michel lui a délivré avant de repartir pour Hambourg, convaincue qu’une vérité salvatrice s’y trouvait. “Ne soyez pas esclave de votre succès …” leur a-t-il dit fort de son expérience. “Sachez déléguer et prendre la distance nécessaire pour préserver votre vie personnelle, et votre santé.”
Et si pour Michel le souvenir de son étoile Michelin commence à se dissiper dans les mille et un souvenirs d’un foisonnant chemin d’existence, c’est bel et bien pour le bénéfice des femmes du ksar d’Aït Ben Haddou qu’il a accepté d’endosser une fois encore sa brillance.
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2 commentaires
Félicitations à Michel et toute l’équipe et merci beaucoup pour votre article.
Margarethe
Représentante de la Fondation allemande Senior Expert Service
Nous envoyons régulièrement des voyageurs au restaurant “Tawesna” coopératif des femmes à Aït ben Haddou, qui reviennent toujours très satisfaits.
Bravo à l’initiative d’accompagnement que le Chef Michel a offert aux femmes d’Aït Ben Haddou, et que je découvre dans cet article.
Bravo à la fondation allemande “Sénior Expert Service” pour son assistance “pointue” grâce à ses Seniors offrant leurs compétences et leur expertises aux associations de notre région Sud Est Maroc.
Sachons profiter de ces expertises pour améliorer nos services et nos savoir faire.
Bravo à l’initiative de l’ONG We Speak Citizen soutenu par Loubna Mouna, qui permet de valoriser en qualité le site d’Aït Ben Haddou, et donc une plus value d’étape et l’intérêts pour notre région.
Merci.
JP Datcharry / Riad Dar Daïf à Ouarzazate/ Désert et Montagne Maroc