A voir en fin d’article : La vidéo du témoignage de trois participants natifs d’Ouarzazate.
La réponse des marocains à l’appel de la nation
Cet appel pour l’organisation de la Marche verte a immédiatement créé au sein de la population marocaine un sentiment de galvanisation à la fois autour de l’idée de nation et autour de celle d’un rendez-vous historique qu’il ne fallait pas manquer. Le Maroc était en effet face à un épisode déterminant de son histoire : accomplir l’intégrité de son territoire tel qu’exprimé en ces mots par le Roi Hassan II lors de son discours désormais historique du 16 octobre 1975 :
Cet appel trouva écho dans le cœur de l’ensemble des marocains pour y résonner avec force et détermination. Cet élan de patriotisme a ainsi donné naissance à une grande marche pacifique qui réussit à mobiliser 350.000 femmes et hommes pour une participation volontaire, tous unis pour servir la cause de leur mère-patrie. Le peuple marocain a ainsi fait entendre haut et fort au reste du monde que son existence et son territoire national étaient inséparables, unis dans une même identité.
C’est alors que des milliers de camions transportèrent un immense flux des participants vers les territoires marocains du Sud, au Sahara. Les paroles de l’hymne de la Marche verte enflamment les émotions patriotiques clamées sur les routes, dans les vallées, dans les déserts et montagnes, dans les écoles et sur les terrasses des médinas, à l’image d’une nation qui se lève et déferle comme une vague impétueuse animée par son attachement au moindre grain de sable de son Sahara :
La détermination des participants du Sud Est marocain
Les provinces de la région Sud Est du Maroc ont été très présentes dans la Marche Verte. Nombreux sont celles et ceux de Ouarzazate, Errachidia, Tinghir ou Zagora qui ont participé à cette marche auprès de leurs concitoyens venus de toutes les autres provinces du pays. Mouloud Jghou, Abderrahmane Moussa et Fatoma Ghouate, tous natifs d’Ouarzazate, en font partie et témoignent aujourd’hui de ce grand moment de leur vie qu’ils ont chacun vécu avec cœur et âme.
Abderrahmane avait 25 ans en 1975. Il travaillait comme guide-accompagnateur. L’ambiance des préparatifs de la Marche verte à Ouarzazate reste ineffaçable dans sa mémoire. C’était une fièvre collective où tout le monde était habité par une seule idée et une seule envie irrésistible : participer à la Marche verte. Abderrahmane s’est inscrit volontaire et faisait partie de la délégation de Ouarzazate.
Mouloud vivait en France à cette époque. La presse y faisait écho de la Marche verte comme d’un sujet d’actualité. Les résidents marocains à l’étranger avaient les yeux rivés sur les chaines de télévision ou les oreilles collées à leur poste de radio pour vivre l’événement de près. « Je vivais en France. J’écoutais la radio qui nous transmettait sans cesse des nouvelles sur les préparatifs de la Marche verte. Submergé par une émotion patriotique indescriptible, je suis rentré au pays et me suis inscrit sur-le-champ parmi les participants à cette marche ». dit-Mouloud
Les femmes furent elles aussi impliquées aux cotés des hommes dans cette aventure. Fatima, native de la casbah de Taourirte, a elle aussi répondu à l’appel de la nation. Elle voulait inscrire son nom dans cet événement historique sans soumettre son choix à aucune réflexion profonde mais en suivant l’élan de son cœur mis en harmonie avec les exigences du moment, de ses enjeux et de sa symbolique, à l’instar de tout le peuple marocain.
A lire : Il était une fois la casbah de Taourirte
Les participants à la marche étaient réunis par province, chacune étant désignée par une lettre. La province d’Errachidia avait la lettre A, la province d’Ouarzazate la lettre B. Ensuite, les participants se déplaçaient par convoi.
Les convois des groupes d’Errachidia et d’Ouarzazate une fois en route, traversèrent les villes d’Agadir, Tiznit, Guelmim… Chaque convoi avait une distance d’environ 2 à 3 heures avec celui qui le suivait pour éviter l’encombrement. Après un trajet de 100 km, les convois de camions firent une pause en dehors des localités.
Tarfaya, ville côtière au sud du Maroc, était la dernière étape de la Marche verte avant l’arrivée à la frontière. Les autorités y avaient installé un gigantesque camp pour abriter tous les participants alors hébergés sous des tentes. Le camp de la province d’Ouarzazate était au bord de la mer, à 7 km du centre de Tarfaya. Les Forces Armées Royales, épaulées par l’administration civile, avait mis en place une organisation méthodique pour la gestion des camps. Les participants étaient ainsi répartis en section, chacune sous la responsabilité d’un bénévole.
Abderrahmane fait revivre les moments de son séjour passé dans ce camp :
« Les responsables nous ont abondamment ravitaillé de toute sorte de vivres : eau, pain, légumes, dattes, poisson… Des avions militaire 630 larguaient des fois des sacs de baguette de pain sur le camp… ».
Fatoma, quant à elle, évoque ses souvenirs de tout le trajet notamment avec les foules de villageois sur les routes qui les acclamaient quand les camions passaient, partageant avec eux une partie de leurs aliments en signe de solidarité. Elle revit sa présence dans le camp à Tarfaya, moment qui ravive ses souvenirs et la pousse à donner plus de charge émotive, d’intonation vivante, de satisfaction à ses propos : « On ne manquait de rien dans le camp à Tarfaya où on vivait comme une vraie famille. Nous avons construit des fours traditionnels en terre pour faire cuire le pain. Je partais chercher du bois et les militaires marocains remplissaient le pan de ma robe de viande et de dattes. J’avais remarquablement grossi » conclut-elle candidement.
L’apprentissage d’un collectif solidaire et responsable
Cette aventure de la Marche verte était aussi une occasion où chacun se mettait bénévolement au service de la collectivité, affirmant ainsi une conscience d’attention et d’amabilité envers ses compatriotes. « J’étais chef d’une section composée de 114 personnes de la province de Ouarzazate. Mon rôle était d’assurer la gestion quotidienne de ce groupe en maintenant la liste des membres, la distribution des vivres … On partageait tout entre nous sans aucun ennui » témoigne Mouloud.
Une ambiance festive animait le camp de Tarfaya sur l’ensemble du séjour qui dura trente-trois jours. Chaque communauté, amzighes, arabes, sahraouis, tous réunis dans un foisonnement culturel, célébrait ses danses et ses chants en guise de partage de ses traditions. C’était toujours des fêtes collectives qui faisaient résonner l’ambiance conviviale et festive traditionnellement ancrée dans le quotidien des villages et des médinas de tout le Maroc.
Au jour décisif, la délégation Ouarzazate entre fougue et détermination
Le 5 novembre 1975, le moment décisif est venu. Le roi Hassan II adressa ce soir-là son discours historique aux 350.000 participants campés à Tarfaya ainsi qu’à tout le reste du peuple marocain. Ses mots résonnent encore avec la même vigueur :
Le lendemain, le 6 novembre 1975, une marée humaine désarmée et pacifique se lance vers la frontière avec une détermination et une foi inébranlable en la légitimité de sa marche.
Abderrahmane, aujourd’hui âgé de 69 ans, immortalise ce moment héroïque avec son regard, lui qui était au cœur de l’événement : « Nous avons reçu l’ordre d’avancer de Tarfaya vers Tah, la ligne frontalière. Le convoi d’Errachidia a pris la tête du cortège mais le bruit des coups de feu les ont dissuadés d’avancer. Ils croyaient qu’il s’agissait de bombardements lancés par les espagnols. Alors ils ont reculé. Nous, le convoi de Ouarzazate, nous les avons devancés pour prendre la tête suivis par le convoi de Kenitra. Nous marchions avec détermination vers la frontière où nous étions les premiers à enlever les barbelés dressés par le colon espagnol. Une femme des nôtres nommée Fadma Mohamed Taberhout alias Tamimounte, âgée peut être de 45 ans de village d’Iguernane, a escaladé agilement et avec bravoure le mur d’une bâtisse jusqu’à atteindre la coupole. Elle arracha drapeau espagnol et mis à sa place le drapeau marocain. Cette femme traduit l’exaltation qui nous animent tous dans le feu de l’action : être le premier ou la première à se sacrifier pour notre patrie … ».
Mouloud prend la parole à son tour : « Nous avons marché 14 kilomètres sur la ligne frontalière. Il y a avait des soldats espagnols, des chars sur les collines mais aucun accrochage ni confrontation n’eurent lieu. Une fois que nous avions franchi le barbelé de la frontière et atteint le point ciblé, nous avons accompli la prière pour remercier Dieu. Nous y avons passé sept ou huit jours … ».
Et Fatoma de conclure « nous avons franchi les frontières femmes et hommes côte à côte. Généralement, rien d’inquiétant. La nuit les soldats espagnols lançaient dans le ciel des feux d’artifice qui éclairaient une vaste zone. Ces explosions provoquaient une peur soudaine parmi nous. Elles ont même précipité l’accouchement d’une de nos consœurs alors enceinte. Elle a nommé son fils Massir, masculin du vocable arabe massira qui signifie marche … ».
Telle était la Marche verte, l’exploit d’une génération qui a su faire preuve de loyauté envers sa patrie et son roi. Cet événement s’est déroulé dans la paix, la dignité et la discipline. Fatoma, Abderrahmane et Mouloud, enfants de Ouarzazate, comme les autres participants à la Marche verte, ont ainsi écrit une des plus belles pages de l’histoire du Maroc et ressentent encore aujourd’hui une légitime fierté qui rappelle à tous, et aux jeunes générations surtout, les vertus du collectif et l’importance de la responsabilité à s’impliquer dans l’expression de ce collectif non seulement dans la remémoration de son aventure historique mais aussi vis-à-vis des défis du présent et d’avenir.
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