La casbah de Tifoultoute, coeur vibrant de l’art Ahwach
A sa naissance, c’est-à-dire au début du 20ème siècle, la casbah de Tifoultoute était sous l’autorité des caïds de la tribu des Glaoua qui dominaient alors la région et menaient pour le compte du protectorat français une campagne de pacification de tout le Sud Est du Maroc. A cette époque de turbulences, Mohamed originaire du village d’Alougoum, province de Tata, habitait dans le hameau de Tikirt près d’Ouarzazate. Sa famille était très connue pour la fabrication du baroud ou poudre à canon ainsi que pour le maniement des armes à feu, notamment le fusil traditionnel. Grâce à ce talent, le caïd de Tifoultoute les a fait venir à ses côtés et les a honorés d’une haute estime.
Les chefs Glaoua avaient un engouement particulier pour les moments de distraction qui faisaient taire le bruit assourdissant des fusils dans la lutte acharnée qui sévissait alors entre les caïds locaux de différents clans. Les maîtres de la casbah de Tifoultoute avaient ainsi leurs propres musiciens, conteurs, poètes … Ils avaient une préférence notable pour le chant et la danse Ahwach.
A cette époque, toutes les femmes du village étaient tenues de participer aux cérémonies d’Ahwach organisées par le caïd. Les Amghars (chefs de village) veillent au respect de cet ordre grâce à un cahier d’enregistrement des noms des femmes participantes par foyer.
Régulièrement des fêtes somptueuses d’Ahwach sont ainsi organisées en l’honneur des hôtes locaux ou des étrangers de haut rang de passage sur le territoire. Tous réunis autour du Glaoui, ils assistent depuis la terrasse de la casbah à ces cérémonies, entourés d’un faste ostentatoire qui exprime leur élégance et leur puissance en tant que notables omnipotents. Le Glaoui supervisait lui-même le déroulement des fêtes d’Ahwach avec le regard de l’homme averti qui apprécie la métaphore des paroles et admire la saveur des gestes des danseurs. Leurs femmes et leur harem ne manquaient rien du spectacle. Elles jouissaient discrètement de ces festivités derrière les fenêtres de leurs chambres.
L’enfant de la casbah de Tifoultoute
Pour Mohamed, enfant, la casbah de Tifoultoute fut un cadre de vie à la fois vivant et fabuleux. Il fréquentait souvent son père appliqué dans la fabrication de la poudre, une occupation qui toutefois ne provoquait en lui aucun intérêt. C’était surtout les escapades dans les parages qui le comblaient de joie, dans ce milieu sauvage qui lui inspirait à la fois admiration et frayeur. Mohamed se rappelle encore les moments de guerres entre les tribus de la région, ces jours où la casbah de Tifoultoute fut assiégée par une tribu ennemie et la bravoure des défenseurs qui réussirent à repousser l’envahisseur. Il se souvient des cavaliers qui quittaient la casbah sur leurs chevaux pour mener le combat contre un village rebelle et soumettre un chef rival.
Ces temps de guerre faisaient partie de la vie des tribus et la casbah de Tifoultoute en est une scène parmi d’autres. Certes ces hommes vigoureux qui combattaient avec fureur ont un sang ardent mais leur vie s’écoule paradoxalement dans une volupté bienfaisante car leur rage s’apaise dès la nuit venue dans les scènes d’Ahwach. Les corps se relâchent et l’imagination brode des beaux poèmes. Hommes et femmes partagent ces moments sensuels où l’on célèbre les émotions vibrantes de la vie. Tous vivent ici une transcendance dans l’espoir de retrouver quelque chose de leur individualité pleine et entière.
Ces festivités nocturnes enivraient Mohamed depuis son enfance. Il est charmé par la musique, le rythme et la poésie. Le son des instruments, le claquement des mains et le trépignement du corps poussent son émerveillement à son paroxysme. Au début spectateur curieux, il a toujours rêvé d’orchestrer ce genre de fête porté par une effervescence qui s’avive la nuit et s’éteint avec les premières lueurs de l’aube.
Une passion précoce, et ardente
Une passion ardente pour Ahwach naît chez Mohamed depuis son enfance. Il manquait souvent ses leçons à l’école coranique pour assister aux fêtes d’Ahwach. A chacun des spectacles, le petit garçon se glisse discrètement au milieu de la troupe, indifférent aux réprimandes des adultes. Poussé par sa curiosité, sa présence devint de plus en plus indiscrète à tel point que le caïd en personne accueillit ce caprice candide avec indulgence. Mohamed observait, imitait, et récitait au fur et à mesure des bribes de chants. Il habituait son petit corps à quelques mouvements légers ponctués de soubresauts, des claquements des mains et à des coups rythmés du tambourin. L’enfant exulté se pavanait comme un chef d’orchestre devant un public imaginaire. Les fêtes d’ahwach deviennent pour lui un rituel qu’il ne manque jamais.
Adolescent, le charme des paroles et le son des tambours le hantent. Ahwach devient une partie de son être. Mais la réalité le force à remettre les pieds sur terre. Il s’engage dans les chantiers de construction pour gagner sa vie, métier qui le conduit dans différentes régions du Maroc. Très tôt, il fit preuve de compétence dans ce domaine, ce qui l’amène à être nommé chef de chantier dans une société française de bâtiment et de travaux publics.
Mais l’ambiance ravissante du spectacle d’Ahwach entre les murailles de la casbah accompagne le jeune Mohamed ; des femmes splendides dans leurs beaux atours, des hommes avec leurs djellabas blanches et le maître de cérémonie placé fièrement au centre de la troupe, coiffé d’un turban blanc et muni d’un poignard en signe de puissance car il est un vrai seigneur cette nuit-là. Le seigneur du chant qui orchestre, fascine et enchante son monde. Des nuits voluptueuses éclairées par le feu des branches de palmes sous le pâle clair de la lune. La lumière de la poésie amazighe illumine les visages. C’est toute la casbah qui se libère et rayonne. Telles sont les nuits magiques des villages du Sud lors des célébrations d’une danse mythique qui remonte à la nuit des temps.
Le début d’une longue aventure
Mohamed cède à l’appel de sa passion. Il rentre périodiquement chez lui et forme ainsi sa propre troupe d’Ahwach à la fin des années trente. Une vingtaine de femme et une trentaine d’hommes qu’il sélectionne avec pertinence. C’est alors qu’il mène sa nouvelle troupe dans les autres places d’Ahwach où la compétition entre les tribus fut acharnée surtout avec les troupes des casbahs de Telouet et de Taourirte, autres fiefs des caïds Glaoua dites « les maisons du Makhzen ».
Les gens, femmes et hommes, venaient de différents villages d’Ouarzazate marchant des jours à dos d’âne ou de mulet pour participer à ces fêtes semblables aux arènes. Chacun(e) s’efforce d’exhiber son talent d’improvisateur de vers invincible en présence des maîtres. Mohamed impressionne par son charisme de chef d’orchestre. Exigeant la perfection dans les moindres détails : costume des danseurs, qualité des instruments musicaux, originalité des poèmes, harmonie entre chant, danse et musique…, il se forge une grande réputation dans toute la région.
Au lendemain de l’indépendance, feu S.M. Mohammed V a effectué une visite du 20 au 26 février 1958 dans la province d’Ouarzazate. La troupe d’Ahwach Tifoultoute, sous la direction de Mohamed Elghachi était présente pour célébrer cette visite historique. C’était le début d’une présence régulière dans les cérémonies officielles au Maroc et à l’étranger.
La participation à la célébration de la fête du mariage du prince Moulay Abdellah frère de feu Hassan II en novembre 1961 a marqué Lhaj Mohamed. Il était fasciné par l’ambiance royale de la cérémonie. Un séjour de luxe où il avait rencontré des personnalités de différents horizons.
L’événement qui est gravé dans la mémoire de Lhaj Mohamed est sa rencontre avec le roi feu Hassan II à Ouarzazate. Il explique :
Ahwach devint alors une découverte pour un nouveau public car il est joué loin des places des villages notamment dans les hôtels et les cérémonies officielles. Il est devenu un objet de fascination, et surtout de distraction pour le plaisir des yeux.
En tant qu’ambassadeur d’Aawach, Lhaj Mohamed multiplie les voyages au Maroc et à l’étranger : la France, la Grèce, l’Espagne … Il évoque avec fierté son séjour aux USA en 1984 auprès d’autres délégations des arts traditionnels venues de différents pays arabes : « Quand nous sommes montés sur la scène qui était décorée des tapis de toutes les régions du Maroc, nos costumes, nos chants et nos danses ont médusé le public. Ils se sont tous levés pour nous applaudir. Les organisateurs nous ont vivement félicités, ébahis par la beauté de nos art traditionnels représentés par Ahwach de Ouarzazate ».
Que reste-t-il de ces temps ? Rêves, chants, danses et joie de vivre dans les nuits festives des villages du Sud ! Tout cela n’est plus. Il n’en reste aujourd’hui que des souvenirs nostalgiques avec un léger goût d’amertume. Lhaj Mohaled conclut ainsi :
A l’automne de sa vie, le récit d’un bon vieux temps apaise la monotonie de sa vieillesse. Pour Lhaj Mohamed Elghachi, ses souvenirs sont une lumière rayonnante qui ne s’éteindra qu’à la fin de ses jours.
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2 commentaires
Un bref aperçu sur la biographie riche de lhadj Mohamed El ghachi, considéré comme une figure emblématique et légendaire de l’Ahwach. Comme tous ses congénères et semblables icônes de l’art Ahwach : Feux hadj Lahcen Armani dit cycliste,A Adda hma m’bark, Adda boubker, Adda hma thami, Adda ouleid et d’autres. Lhadj Mohamed El ghachi est un maître d’Ahwach, de la perfection avec un talent exceptionnel qui a révolutionné ce noble art qui est actuellement et dernièrement à un produit touristique et une danse folklorique fade sans goût.
Que son âme repose en paix au paradis.je l’ai côtoyé en tant que président de la CALTO(cooperative laitière Tamtkalte dans son epogee personne fidèle sincère correcte et aimable .الله ارحمو ووسع عليه