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C’était dans les années soixante.
Au nord, la colline où siégeaient alors les bureaux du gouverneur d’Ouarzazate, encore dénommée « la redoute » comme du temps du Protectorat français, surplombe quelques petits quartiers réunis comme un village. C’était le centre d’Ouarzazate traversé par une seule avenue.
Plus vers le sud, la vallée de Drâa fascine par sa splendeur, ses rives couvertes de palmiers-dattiers et de jardins verdoyants. L’avenue et la vallée forment deux axes parallèles qui traversent les collines et les récifs d’Ouarzazate.
Jouxtant le centre-ville naissant, un vaste plateau servait de point de décollage et d’atterrissage pour des avions de petites tailles. C’était l’aéroport. Enfants, nous ressentions une sorte de fierté en voyant de si près de vrais avions venus d’ailleurs jusque dans notre lieu de vie.
Tout au loin se distingue alors dans l’horizon une imposante colline. Elle nous apparaissait sous une forme floue de telle sorte qu’on pouvait la prendre pour un mirage. C’était Tazakhte, avec ses grottes troglodytes creusées dans ses parois arides depuis les temps les plus reculés et qui jadis, il y a bien longtemps, servaient de refuge naturel pour des habitants dont toute trace a depuis disparu.
Tazakhte a marqué notre mémoire collective d’une empreinte mythique. C’était en effet un lieu autour duquel se tissaient des récits fantastiques et des croyances fabuleuses.
L’origine de son nom est inconnue. Source d’un flux de questionnements sans réponses, son évocation suscitait en nous à la fois crainte et émerveillement et ses profondes cavernes furent d’évidence un lieu d’aventure pour nos esprits avides de mystères.
Nous étions alors des enfants. Le ramadan n’était pas pour nous un mois de rituels religieux, de jeûne et de prière. C’était le moment précieux pour la découverte de ces lieux étranges et inconnus.
En groupe d’amis nous partions souvent en visite à Tazakhte et c’était manifestement une manière d’exprimer notre audace, une forme de bravade face à l’inconnu.
Ce lieu figé était plongé dans un silence comme immuable. Pour nous, il devait sûrement être habité par des « djinns », ces créatures surnaturelles qui peuplent les mondes souterrains.
Avant de franchir son seuil, nous nous prosternions avec révérence
Nous partions à pied à la découverte de Tazakhte, bravant la chaleur torride pour parcourir les quelques kilomètres qui nous séparaient de notre destination, chaussés de sandales de fortune, en plastique mais résistantes, franchissant les rochers et les collines, écrasant des plantes sauvages, comme le Harmal, renversant les pierres et faisans fuir les scorpions dorés sur notre passage,
Dès notre arrivée dans la vallée de l’oued El-Maleh et alors que Tazakhte se faisait de plus en plus proche, une angoisse terrible nous étreignait mais nous feignions le courage pour surmonter cette peur et continuer notre chemin avec assurance.
L’entrée de la caverne était une fente horizontale et plate. Avant de franchir son seuil, nous nous prosternions avec révérence. Puis, nous rampions pour pénétrer dans ce monde effrayant qui nous engloutissait. Nous progressions vers les entrailles du lieu et nos corps se couvraient de poussière et raclaient contre les cailloux.
Ce voyage dans les dédales obscurs amplifiait notre angoisse. Nous nous obstinions pourtant à continuer notre progression dans le noir. Un silence effrayant régnait, brisé de temps en temps par les voix et les murmures des compagnons.
Enfin, une lueur de lumière faisait émerger l’espoir dans nos cœurs. Ce faible éclat lumineux dissipait peu à peu l’obscurité pesante et nous guidait vers les profondeurs de la grotte. Des caves humides se dévoilaient devant nos yeux. Des galeries minutieusement sculptées et comme enracinés dans la terre. Des chambres rudimentaires aménagées au fond et surplombées d’un vaste voile de couleur noire semblable à une nuée de corbeaux.
Cette caverne légendaire ramène chacun de nous à son état fœtal. On dirait que la terre-mère nous redonnait naissance. Elle nous soumettait à l’épreuve de s’adapter et de survivre dans notre environnement.
Nous remontions ensuite vers le ciel bleu azur comme les feuilles d’une plante fragile. Nous nous bousculions alors comme les bourgeons d’une rose avec résolution et enthousiasme pour jouir pleinement de ce moment de liesse.
Le rituel d’un retour à la terre
Avec cette candeur propre à l’enfant, ce pèlerinage à Tazakhte pendant le mois de ramadan était comme le rituel d’un retour à la terre. Et avec nos corps recouverts de sa poussière et le frottement contre tous ses graviers, nous le vivions comme si elle nous accueillait tendrement dans son giron.
Cette passion d’ainsi aller se recueillir à Tazakhte a éloigné de nous à jamais la peur de l’inconnu et des mondes invisibles. Nous entrions en communion avec cet espace étrange et insondable qui nous dévoilait son langage, fait de formes, de parfums et de couleurs que nous interrogions sans cesse avec émerveillement. Tazakhte ravivait en nous des sentiments contradictoires, affinait en nous un caractère romantique et une appétence pour le surréalisme.
Tazakhte, cette caverne platonicienne, défie encoure aujourd’hui l’oubli et résiste aux défaillances de la mémoire. Elle se dresse encore, toujours ensorcelante, avec ses secrets inexplorés, préservés dans ses galeries et ses tunnels, depuis des temps immémoriaux mais qui toujours réveilleront auprès du visiteur mille et une questions qui resteront sans réponse.
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