Les années passèrent, Izza se forge les talents d’une potière par habitude. Son père affaiblit par l’âge et la maladie n’a plus la force de travailler. Comme elle est l’ainée, c’est à elle de gagner le gain pain de sa famille. Son destin est alors scellé : elle sera femme potière. Une charge qu’elle assume depuis plus de sept ans. Agée aujourd’hui de 36 ans, toute son identité féminine est mise à l’épreuve dans un métier fait pour des bras robustes.
Izza n’est plus dans un monde où régnerait la fragilité, tant physique qu’affective. Derrière son allure de femme git une vigueur d’homme. Elle creuse dans l’oued en quête de la couche de terre désirée. Une fosse que les eaux de Oued Elhejjaj ne tarde pas à recouvrir lors des crues. Mais Izza recommence de nouveau. A environ 3 kilomètres de chez elle, un autre périple long et difficile l’attend en compagnie de son frère. « Je peux aller dans l’oued et creuser. Je m’y sens en sécurité car c’est très proche de la route. Mais je ne peux pas m’aventurer seule dans d’autres endroits loin, c’est mon frère qui s’en charge ou alors nous y allons ensemble » explique-t-elle.
Des amas de terres de différents types sont entassés dans les coins de l’atelier d’Izza. Elle saisit une longue branche de tamaris séchée et taillée à l’extrémité pour piler la terre. A première vue, il parait ironique de voir un corps maigre vouloir réduire en poudre des grains de terre secs. Une tâche qui exige, de principe, une grande force physique. Mais Izza sait bien manier son outil qu’elle fait tourner dans l’air avant de l’abattre sur l’amas de terre pour alors la pulvériser par des coups successifs.
Creuser, transporter la terre à dos d’âne, passer la terre au tamis, la pétrir par les pieds, la mouler, chercher les herbes sèches dans les parages, allumer le four, cuir les cruches… Toute une série de tâches harassantes auxquelles Izza s’adonne sans manifester aucun épuisement. Certes courageuse et patiente, mais ses mains rugueuses, ses essoufflements, ses rides précoces disent tant sur la lourdeur de sa charge. « C’est dur ! quand j’étais enfant, ma mère et moi nous cherchions de l’eau à Ouled Merzoug ou Douaher (douars de Skoura) à 30 mn de route d’ici. Nous y allions à pieds et nous revenions les cruches remplies d’eau sur nos dos courbés … »
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Un ton de candeur embellit les propose d’Izza. L’habitude a peut-être rendu banal le fardeau de sa vie. Dans une insinuation significative, Izza glisse sa souffrance endurée « dans ce travail de corvée, même l’âne se casse le dos au bout de cinq ans. Exténué, nous nous en débarrassons pour en avoir un autre ».
Une fois la cruche arrivée à sa dernière étape, la touche féminine y pose un point de beauté. Izza saisit une plume, la plonge dans un bol de terre fine mélangé d’eau pour colorer sa cruche. Elle y dessine naïvement des palmiers, des formes accouchées par son imagination. Son corps de femme épuisée dans une suite de tâches assommantes trouve enfin un exutoire à sa fatigue, un moment de repos et de création douce.
Au lever du soleil d’un nouveau jour, Izza se ressaisit, entaille le sol, charrie la terre, la tamise, la moule pour fabriquer des cruches, des braseros en terre et des bols. Des produits sobres qui murmurent les peines, le courage et la candeur de leur artisane. C’est l’histoire d’Izza, l’artisane de la terre, que le temps égrène discrètement au bord d’Oued Elhejjaj, dans le village des potiers, à Gueddara.
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Crédit Photographie : Abdellah Azizi
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