Hamid Herraf est producteur de cinéma marocain, associé avec Hicham Haji au sein de la société H Films. Il était récemment sur Ouarzazate pour un tournage dans les décors du studio Atlas. Il répond aux questions de sudestmaroc.com pour nous faire partager son regard sur l’économie du cinéma à Ouarzazate, un regard critique mais tout simplement objectif, celui d’un professionnel qui sait de quoi il parle.
Hamid Herraf – C’est simple, nous transposons en images la Bible, à savoir les quatre évangiles du Nouveau Testament, le livre de Luc, de Marc, de Matthieu et de Jean. C’est une transposition fidèle en images de ce que l’on trouve écrit dans la Bible. C’est un projet international initié par une productrice anglaise et qui mobilise aujourd’hui différents partenaires. A l’origine, cette production était destinée à servir pour l’Eglise afin d’illustrer les prêches du dimanche. Mais il se trouve que d’autres personnes se sont intéressés au projet et tout cela a pris une plus grande ampleur dans l’intention notamment de faire une reconstitution historique la plus fidèle possible des situations énoncées dans la Bible, avec des costumes d’époque, des animaux, les décors, tout ce qui est permet de donner à voir les récits fondateurs.
Ce projet a été lancé en 2009 et nous avions déjà tourné quelques histoires connues de la Bible pour illustrer le projet auprès de partenaires. Là nous en sommes à la dernière semaine de tournage, et nous aurons fait 60 jours de tournage.
HH – Non, il n’y aucun rapport. L’ancienne production était plus une scénarisation des grands personnages de la Bible, avec des acteurs et des dialogues et même une romance en filigrane pour intéresser le public. Là, il n’y a pas de son, ce ne sont que des illustrations du texte biblique qui sera lu par un orateur.
HH – A ce stade je n’en sais rien, mais je pense que oui car c’est une façon de mieux faire découvrir la Bible sans parti pris car ce n’est ni une version catholique, ni anglicane ou autre. C’est la source biblique et c’est pourquoi nous avons dans notre équipe beaucoup de consultants historiques pour nous conseiller sur la véracité historique des récits car c’est notre premier souci.
HH – Je suis originaire de la région d’Errachidia mais je suis casablancais depuis 1979. Je suis venu au cinéma un peu par hasard puisque j’ai commencé par être banquier. Mais suite à une rencontre fortuite en 1987 avec un grand réalisateur et producteur marocain pour lequel j’ai beaucoup de respect, Latif Lahlou, j’ai avec lui quasiment tout appris, les métiers de la production, la régie, l’assistanat à la mise en scène.
professionnel ?
Finalement, j’ai lancé ma propre maison de production dans les années 1990 et je faisais surtout de la production exécutive, c’est à dire la prise en charge des films étrangers. Malheureusement, et avec la guerre du golfe, la plupart des films étrangers ont été annulés pour des raisons de sécurité, les assurances ne voulant plus couvrir les tournages dans les pays africains ou musulmans.
Ensuite j’ai rejoint il y a quatre ans la société H films fondée par Hicham Haji. Nous avions commencé à travailler ensemble, lui en tant qu’assistant réalisateur sur le film « Le grand voyage ».
HH – Notre prochain film, un film marocain cette fois là, sera fait sur la fameuse peintre Chaïbia, que l’on nommait « la paysanne des arts ». C’est l’histoire du choc la peinture naïve au Maroc. Une femme qui est venue à la peinture par hasard. Après avoir été découverte par une allemande, elle a fait le tour du monde en exposant ses œuvres. Le tournage est planifié pour février 2014.
Il y a ici au Maroc un potentiel énorme auprès de la jeunesse
HH – Nous avons produit principalement des courts métrages de jeune réalisateurs marocains. Le premier en 2010 a eu un certain écho, c’était le film « Cicatrices » de Mehdi Salmi. Il y a eu ensuite « Casa Riders » de Youssef Britel. J’ai produit le premier film d’Hicham Haji en tant que réalisateur, « Chaala », l’histoire d’un jeune en homme en huit clos dans son appartement. Nous avons aussi fait un film avec un jeune réalisateur français, Nicolas Pier Morin, pour son film « The Shepherd ».
Nous essayons en effet avec notre société H films de faire émerger de nouveaux talents dans le cinéma. Je me suis rendu compte personnellement qu’il y a ici au Maroc un potentiel énorme auprès de la jeunesse. Mais il faut qu’elle soit soutenue et encouragée. Malheureusement, c’est difficile de porter le projet d’un film, car cela dure souvent plusieurs années et je comprends en quoi les jeunes talents sont ici démoralisés.
HH – Je porte un regard mitigé. Cela marche un peu mais je crois que l’on pourrait faire mieux.
HH – Malheureusement, cela reste des débats et il n’y a pas d’actions concrètes. Prenons l’exemple des décors de tournage qui ont été mis en place par des productions anciennes et laissés en l’état. Il y a très peu d’entretien de ces décors comme si les responsables attendaient qu’une nouvelle production vienne les repeindre, les réparer ou quasiment les reconstruire.
HH – Bien évidemment. Pourquoi nous viendrons ici alors ? Il est vrai que le cinéma s’est lancé ici autour des paysages naturels et des décors historiques et il y a un vrai savoir faire à Ouarzazate.
Le jour où il n’y aura plus de décors, les films iront ailleurs
HH – Il n’y a pas d’organisme en charge du cinéma. Je sais que la Film commission existe mais que l’on me montre ce qu’elle a fait. Il y a eu quelques petites avancées mais beaucoup plus de promesses. Ils sont certes très forts pour représenter Ouarzazate à l’étranger dans les grands rendez vous de l’industrie cinématographique comme Cannes ou Los Angeles mais en actions concrètes ici à Ouarzazate pour soutenir le cinéma, je n’ai rien vu.
HH – Je comprends bien et le débat est complexe mais sur ce point nous ne demandons qu’une seule chose, la maintenance des décors existants. Nous ne leur demandons pas de construire Rome, si ce n’est que dans le cahier des charges lors de la remise du terrain pour le studio CLA, ils devaient s’engager à construire un décor de la Rome antique. Cela n’a pas été fait pour des raisons que j’ignore, sans doute réelles. Mais regardons le palais de César qui aujourd’hui ressemble plus aux ruines de César. Il faut se rendre compte que les films viennent ici parce qu’il y a un studio avec des décors. Le jour où il n’y aura plus de décors, les films iront ailleurs.
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HH – La lumière il y en a de partout et elle est belle de partout. Il faut savoir que le jour où l’Algérie sera plus paisible et où ils auront les structures adéquates pour accueillir les films, plus personne ne viendra à Ouarzazate car ils ont des décors et des paysages bien mieux que nous ici au Maroc.
HH – Nous vivons ici sur des acquis. De gros films continuent encore à venir, et heureusement, comme le film Kingdom of Heaven qui a laissé un décor magnifique qui lui est encore intact et très bien entretenu. C’est d’ailleurs un vrai plaisir à venir y travailler.
Finalement, nous nous sentons bien ici à Ouarzazate mais nous nous attendons à un meilleur accueil, même si les administrateurs de studio font sans doute ce qu’ils peuvent. Le problème est compliqué, car les problèmes sont divers comme la desserte aérienne qui est de plus en plus faible. Tout cela est paradoxal.
Crédit Photographie : Abdellah Azizi
www.azifoto.com
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2 commentaires
Bravo pour ce nouvel article qui nous présente enfin la triste réalité par un professionnel du cinéma.
Et encore Monsieur Herraf est marocain de la région pour les productions étrangères les affres des Contrats et prestations de services locaux sont légions.
Un peu de sérieux et de volonté de la part de l’ensemble des acteurs est urgent pour sauver les meubles ….
Est ce que ces voix qui s’élèvent pour dire l’urgence à réagir vont trouver un écho chez les ouarzazis?
Le tourisme est en crise, l’activité cinématographique également. Que fait-on ?
Il est temps de prendre notre destin en main, d’oser affronter la réalité avant qu’il ne soit trop tard. Merci pour cet article et pour l’intervention de M. Herraf.