El Hara, le village englouti

Elhara, un village englouti dans le lac et couvé dans le cœur de ses enfants

Pourquoi ces eaux ont submergé la terre et exilé les hommes ? Un bled qu’il faut oublier, fêter ou pleurer ? Le jour où on a voulu barrer le chemin au plus long fleuve du Maroc, Oued Drâa a débordé de son lit. Il s’est révolté et a englouti toutes les terres qu’il a longtemps nourries de ses eaux. Un immense lac artificiel, Elmansour Eddahbi, a vu le jour. Au même moment, des villages séculaires, comme Elhara, ont sombré au fond de ces eaux verdâtres.

Le destin a joué son jeu en s’emparant  furtivement d’un bled que les hommes croyaient leur appartenir à jamais. Des flots d’eau ont inondé les maisons, les moissons et les terres fertiles. Le regret de la terre natale disparue tourmente alors la population déplacée. Au bord de la rivière Drâa, des larmes ont été versées, des poèmes chantés, des histoires dispersées … Sur la vague des mots et des souvenirs, Elhara ressurgit du fonds du lac à travers une histoire racontée par un de ses enfants. Il raconte ce qu’il a vécu et ce qu’il a entendu des siens, évoque les derniers moments de son bled enseveli dans les eaux, retrace le chemin douloureux du déplacement de la population.

Le destin a joué son jeu en s’emparant  furtivement d’un bled que les hommes croyaient leur appartenir à jamais. Des flots d’eau ont inondé les maisons, les moissons et les terres fertiles. Le regret de la terre natale disparue tourmente alors la population déplacée. Au bord de la rivière Drâa, des larmes ont été versées, des poèmes chantés, des histoires dispersées … Sur la vague des mots et des souvenirs, Elhara ressurgit du fonds du lac à travers une histoire racontée par un de ses enfants. Il raconte ce qu’il a vécu et ce qu’il a entendu des siens, évoque les derniers moments de son bled enseveli dans les eaux, retrace le chemin douloureux du déplacement de la population.

 

« Ces terres aujourd’hui désertes étaient une ruche bourdonnante de vie. De nombreux douars longeaient les deux rives de l’oued : Terraf, Guelmouz, Tarkechte, Iggoudi, Izlaguen, Tadart, Ait Ouissaden, Zaouia, Elhara… Ce dernier douar faisait partie de la commune de Skoura. Les habitants d’Elhara parlaient le dialecte arabe avec un accent propre aux tribus chleuhs de la région et des mots empruntés à Tachelhit. Nos ancêtres nous ont dit que les premières familles originaires de ce douar sont les Ait Nsila, Ait ben Taleb, Ait Quris, Ait ben Cheikh Ali, Ait Zerda, Ait Benchhab…

Notre vie avait un goût de bonheur et d’amertume. Les saisons des pluies et des bonnes récoltes nous comblaient de joie. La sécheresse, les crues des oueds et l’injustice des caïds étaient source de notre désolation.

Le départ des habitants allait être une question de jours

Elhara était une terre fertile et généreuse. Les eaux de l’oued coulaient presque toute l’année. On ne manquait de rien. Les palmiers dattiers s’élevaient, alourdis de dattes, s’étendaient à vu l’œil. Le palmier-dattier ! Un arbre providentiel qui produit de succulentes dattes en abondance et nous nourrit même dans les temps pénibles ! Des jardins de pêchers, d’abricotiers, d’amandiers, de vignes … poussaient sous les gigantesques palmiers qui les protégeaient du soleil ardent et des vents froids ou sablonneux. Nous vivions de ce que nous produisons : le labeur de la terre. Et pour se procurer d’autres besoins complémentaires (sucre, thé, lampes à pétrole, bougies…), nous vendions quelques produits de nos récoltes. C’était une sorte de troc.

Les saisons avançaient à leur rythme, lent et paisible, rarement perturbé. La vie des habitants aussi. C’était une ambiance de la vie paysanne dans la vallée de Drâa. La rumeur d’un éventuel projet de construction du barrage circula à la fin des années soixante dix. Les gens ne prenaient pas les choses au sérieux. Ils croyaient que c’étaient juste une plaisanterie. Puis, on a demandé à chaque ménage de recenser ses biens ! Le mokaddem (chef de village), les douze membres de notre tribu ou « jmaâa » et un français formaient la commission chargée de cette opération de recensement. Ce n’était plus une rumeur ! Cependant certaines voix laissaient entendre qu’il s’agissait juste d’un subterfuge de la part du makhzen qui consiste à recenser tous les biens des familles pour leur imposer ensuite un impôt dit « lferd ». La confusion régnait alors parmi les habitants. Ils ne savaient plus quoi faire ! Les uns ont déclaré les biens qu’ils possédaient, ni plus ni moins. Les autres ont examiné de nouveau et diminué même les biens déclarés au début de crainte de payer plus d’impôts. Les pauvres, ils étaient naïfs ! Des personnes, très rusées, ont saisi l’occasion et déclaré avoir en leur possession un nombre exagéré de palmiers-dattiers qu’ils n’ont pas dans la réalité.

Mais, le doute n’était pas dissipé. Déplacer tous les habitants riverains de l’oued ? Un lac engloutirait cette immense surface ?… L’imagination de nombreux villageois était assez étroite pour croire à un tel scénario. On en riait même. Peut être les habitants des douars ne voulaient même pas penser une seule seconde que leur départ était une question de quelques jours.

La construction du barrage nous a chassés d’une terre fertile et prospère

Un matin, des bulldozers de D9 et D8 s’acharnent sur les palmiers et commençaient à les déraciner, écrasent les champs et la terre s’ébranle sous les chenilles de ces monstres. Rien ne pouvait apaiser le tumulte provoqué dans les villages et surtout dans les esprits. Des gens se sont écroulés devant ce drame. Mes parents, comme beaucoup d’autres, n’ont pas pu regarder leur terre s’effriter en un clin d’œil. Ils n’ont jamais mis les pieds dans les champs depuis le commencement des travaux de déracinement des arbres. D’autres, bouleversés par la catastrophe, ont plié bagage et sont partis discrètement.

Les familles d’Elhara ont été relogées ensuite à Idelssan. On nous a proposé au début d’être relogés dans les maisons du legs pieux « dyour jameâ » ou dans les maisons du Glaoui. Des villages comme Inyork à Ouarzazate ont accueilli des familles pauvres qui n’avaient pas de biens. Ce sont des foyers appelés « dyour lfokara » maisons des pauvres. Les autorités ont d’abord construit les nouveaux foyers, des maisons de fortunes. Puis, ils ont commencé l’opération de déplacement des familles ; d’abord les villages menacés par les eaux du futur lac … Ma famille n’est partie qu’en 1972, deux ans après la mise en exploitation du barrage. Notre maison était placée sur un petit mont qui ne tardera pas à son tour de disparaître sous les eaux.

Pour nous, habitants d’Elhara, le barrage ou le lac construit nous a chassés d’une terre fertile et prospère. C’est une grande perte pour nous. Mais pour les habitants de l’autre rive de l’oued, la construction du barrage est une délivrance des crues des oueds qui les isolaient des semaines voir des mois entiers. Bref, les eaux du lac Elmansour Eddahbi ont inondé les champs, les terres, les maisons… Elles ont rayé de la carte des villages séculaires. Elhara est partie. Elle ne reviendra jamais.

Aujourd’hui les anciens habitants des villages engloutis et les eaux du lac se disputent les petites parcelles de terre cultivables sur les bords du lac. Quand les eaux descendent ou sont en reflux, nous cultivons le rivage, très fertile d’ailleurs. Quand les eaux remontent, elles engloutissent tout. Et ainsi de suite… ».

Ainsi témoigne Attif Mohamed Elfilali, natif d’Elhara et âgé de 72 ans. Les mains derrière le dos, il foule lentement ce qui reste de sa terre et celle de ses ancêtres. L’homme déploie tendrement son regard sur les lieux dans un geste religieux comme s’il se recueille sur la tombe d’un être cher. Est-ce la nostalgie ou l’amour ardent de la terre qui met le feu dans les yeux de Attif ? Comme beaucoup de ses confrères et consœurs, il a froid loin de son bled.

Elhara dans le lac et dans le cœur. Englouti dans l’un et couvé dans l’autre. Il n’en reste que des émotions, des souvenirs, des tourments et des pleurs …

Crédit Photographie : Abdellah Azizi
www.azifoto.com

2 commentaires
  1. Histoire légèrement romancée : le barrage a été construit pour irriguer toute la vallée du Draa et nombreux de ces exiles ont bâti le quartier d Ait Kdifqui, quartier qui se se fait aussi appeler nouvelle ville d’où le surnom de New York. Mais c’est beau !

  2. Un très bon article. On aurait dit un conte. Merci beaucoup. Quand l’intérêt commun l’emporte sur l’intérêt particulier, il valait mieux faire des concessions. C’est grâce à ce barrage que la population du sud-est s’approvisionne aujourd’hui de produits agricoles nécessaires. Sans ce lac, la pastèque, le melon et d’autres fruits et légumes de Zagora n’auraient eu cette renommée nationale et internationale. Néanmoins, les Autorités auraient dû indemniser les familles déplacées de manière à ce qu’elles aient pu refaire leur vie de manière saine; au lieu de les laisser livrés à elles même.

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