Seules les dunes tentent d’incarner le mouvement rassurant de la vie au point que certains ont voulu voir dans cette éternité immobile l’unique espace où l’on pouvait enfin s’évader, oublier tout de soi et des autres, se perdre même, y effacer son existence. Paré des atours du mythe et de l’exotisme, le désert affiche une beauté envoutante car paradoxale puisque son charme est alors une source foisonnante d’inspiration qui provoque les sens, la pensée, et jusqu’à l’esprit.
Et pourtant, le désert raconte sa propre histoire et dévoile ses secrets aux regards sincères d’un voyageur attentif ou d’un habitué des lieux. L’écrivain et poète français Edmond Jabès témoigne :
En réalité, le désert du Sahara est un espace où sans cesse se sont croisés et brassés ethnies et peuples, mœurs et croyances. Toutes les convoitises des humains s’y sont échangées, au même titre que les idées et les rêves, tissant au fil des siècles un majestueux maillage entre une Nature toujours impérieuse et des humains juchés farouchement sur leur quête perpétuelle d’itinérance et de refuge, agrippés à leur soif atavique d’aventure, à leur besoin insatiable de pouvoir et de richesse, ou encore figés à jamais dans leur aspiration au ré-enchantement de leur existence sur cette Terre de souffrance.
Le mot « Sahārā » signifie « vaste zone dépourvue de végétation » en arabe.Le nom Tiniri (ou Ténéré) signifie « grande plaine étendue, sans montagne ni dune, désert plat» en langue Tamacheq, la langue tamazight des populations locales Berbères, encore dénommées Touaregs.
Finalement ce vaste territoire à l’apparente vacuité aura représenté une composante essentielle de l’histoire de l’Afrique, en tant qu’espace frontière et passerelle entre toutes les régions qui le bordent, du Nord au Sud et d’Ouest et Est, du Maghreb à l’Egypte et de tous les pays subsahariens.
Autrefois le Sahara offrit à l’humain un jardin vibrant de vie
Le Sahara est un immense désert couvrant la majeure partie nord de l’Afrique. L’extrême pénurie de l’eau, la raréfaction des précipitations et l’abondance du sable sont les principales caractéristiques de cet espace. Or, l’aspect actuel du Sahara ne ressemble en rien à ce qu’il était autrefois. Il est le territoire d’une fabuleuse histoire de métamorphoses naturelles à laquelle toujours la vie humaine cherche à s’adapter.
Il y a 100 millions d’années, le Sahara était alors recouvert par les eaux du paléo-océan Téthys. Le cycle régulier des glaciations fit alors s’alterner l’extrême aridité et la luxuriante verdure de ses terres. Mais il y a près de 10.000 ans, il se figea dans de bienveillants attraits pour se recouvrir de lacs, rivières, forêts et d’une vaste savane arborée ou de prairies herbeuses habitées d’éléphants, de girafes, de grands fauves, de crocodiles, d’hippopotames … Là, les humains chassent et pêchent, et puis récoltent et cueillent ce que la nature met à leur disposition à profusion. Les plus anciens témoignages qui nous soient parvenus datent de 8.000 ans et sont constitués par des gravures sur les roches figurant des chasseurs armés d’arc et de flèches poursuivant du gibier.
C’est dans ce Sahara généreux que les humains vivent, comme d’autres groupes le vivront ailleurs sur la planète, cette formidable transformation existentielle qui les amène à devenir peu à peu des agriculteurs sédentaires et des pasteurs nomades. C’est la révolution néolithique qui ici s’épanouit. Le bœuf domestique apparait alors sur les gravures éparses dans ce Sahara encore verdoyant. Les humains à peaux noires, élancés et porteurs d’une petite barbiche, cohabitent avec d’autres à peau plus claire, probablement venus d’Orient et amenant avec eux le cheval et puis plus tard le dromadaire.
Le Sahara, creuset des peuples berbères
Aux environs de 6.000 ans avant le présent, le Sahara entame une nouvelle phase d’aridité qui ira toujours croissante jusqu’à nos jours. Les hippopotames et les éléphants disparaissent des peintures rupestres de cette époque et sont remplacés par une forme jusque là inconnue, le cheval, montré attelé à un char à deux roues sous la conduite de guerriers armés de javelots et de boucliers.
La Préhistoire de l’humanité se termine lentement et s’élance vers son Antiquité. Les humains poursuivent leur aventure en formant ici et là des peuples, réunis autour d’une langue et de gestes culturels communs. L’aventure berbère peut commencer. Le cœur du Sahara en est son creuset et bat au rythme du mélange de ces peuples naissants. Les monuments funéraires et l’art rupestre constituent aujourd’hui l’archive de toutes ces aventures humaines nées du désert.
Les premiers à élaborer une société organisée avec ses règles, ses coutumes et ses valeurs sont appelés les Protoberbères bovidiens. Non seulement connus pour être d’excellents chasseurs, ils affirment peu à peu une identité de guerrier intrépide, dotée d’une certaine noblesse d’esprit qui porte les germes de l’élégance berbère dont l’épanouissement se déployera au fil des siècles. Ces premiers peuples berbères évolueront pour en constituer d’autres qui seront alors dénommés Lybiens, Garamantes, Gétules. Un groupe particulier deviendra l’emblème du Sahara. Ils sont alors connus sous l’appellation d’Imohagh et seront nommés plus tard par les arabes par le terme de Touareg. Peuple à la face voilée, ils conserveront l’usage de l’écriture libyque qui deviendra le Tifinagh, depuis l’Antiquité jusqu’aux temps présents.
D’autres encore, comme les Zénètes ou les Sanhadjas, confédérations de tribus berbères nomades du Sahara auront une influence majeure sur l’histoire de l’Afrique du Nord. Les Zénètes seront directement à l’origine de la fondation de Sijilmassa, la grande cité médiévale du Sahara. Les Sanhadjas seront eux à l’origine de la puissante dynastie des Almoravides qui règnera au XIe et XIIe siècle sur tout l’ouest du Maghreb et dans le pays d’Al-Andalus, sur la péninsule ibérique.
Le Sahara verra l’émergence de nombreuses autres grandes cités comme Tegdaoust, capitale du royaume berbère d’Aoudaghost (actuelle Mauritanie) fondée au IXe siècle et conquis par le Ghana en 990. La cité Tahert en Algérie, dont le nom dérive du mot berbère qui veut dire « lion ». La cité Tadmekka qui signifie « aspect de la Mecque » en berbère ou encore la cité d’Essouk, « marché » en arabe, et ancienne capitale de l’Adagh au Mali peuplée majoritairement par les Berbères. La cité Ghadamès en Libye connue sous le nom de « Perle du désert » et enfin la cité Chinguetti en Mauritanie réputée sous le nom de « ville des bibliothèques ».
Durant le Moyen-Age, le Sahara voit la constitution de plusieurs empires comme ceux du Ghana et du Mali, l’empire Songhai en Afrique de l’Ouest, celui du Kanem Bournou couvrant les pays actuels du Niger, de Lybie et du Tchad. Ces empires faisaient reposer leur puissance sur leur parfaite maitrise de la vie saharienne et donc sur le commerce de l’or et autres biens commerciaux via les routes transsahariennes.
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La désertification du Sahara et la naissance du grand nomadisme
Au fil des siècles, le Sahara s’est transformé d’une savane en un désert inculte. Cette longue période de sécheresse a entrainé la disparition des biodiversités végétales et animales. Ainsi les populations sahariennes ont été obligées d’émigrer vers les régions périphériques plus clémentes et se sont alors agrégées dans les oasis sur les confins du désert formant les rares points de verdure où les cultures céréalières et maraîchères pouvaient encore se faire. Cette transformation du rapport au territoire de vie amorce l’émergence du grand nomadisme dans le Sahara. Alors habité par des nomades déterminés à rester libres en s’adaptant à l’âpreté du désert, le Sahara allait désormais se transformer en un océan sillonné par les routes caravanières.
Au début, ces pistes qui traversent le désert sont appelées la route des chars, comme celle ouverte par les tribus berbères Garamantes entre les cités aujourd’hui connus sous le nom de Tripoli et de Gao. L’arrivée des Phéniciens et la création de Carthage, il y a près de 2 800 ans, lancent le trafic des esclaves au travers les sables du désert qui deviendra, avec l’or et le sel, le commerce le plus lucratif. Les Grecs et les Romains développent les comptoirs commerciaux tout du long de l’Afrique du Nord mais c’est à partir de la conquête musulmane, entamée en 647, que les relations culturelles et commerciales entre le Maghreb et l’Afrique saharienne et subsaharienne connaîtront un essor sur tous les niveaux.
Au début du VIIIe siècle, les Berbères de confession ibâdite seront les principaux artisans de l’expansion du commerce à longue distance. Ils vont mettre en place tous les éléments constitutifs de ce négoce avec l’ouverture de diverses voies caravanières et le contrôle des terminaux caravaniers tant au nord qu’au sud du Sahara, et ce jusqu’au milieu du XIIIe siècle.
Le développement progressif du commerce maritime et l’expansion coloniale provoqueront l’affaiblissement durable des échanges transsahariens et l’appauvrissement progressif des populations concernées. L’arrivée des européens redynamisera quelque peu l’intérêt pour le Sahara, surtout dans sa dimension d’exostisme, sans pour autant lui permettre de raviver ses flamboyances d’antan. L’intérêt pour les ressources minières du sous sol saharien demeurera un carcan indépassable.
Une histoire sans cesse à raconter pour ce qu’elle nous témoigne de notre humanité
Sudestmaroc.com va décliner d’article en article le récit de cette fabuleuse histoire du Sahara en perpétuelle évolution depuis la nuit des temps : foyer de naissance et de croissance de peuples et de civilisations, espace de rencontre et de métissage des humains, carrefour de leurs ambitions et de leurs aspirations. Un voyage dans le temps pour explorer l’histoire de notre humanité en Afrique et la part d’Afrique dans l’humanité du Maghreb et du Maroc en particulier.
Un éclairage vecteur de reconnaissance et de réconciliation vis-à-vis de notre histoire commune afin que scintillent à nouveau sur les sables satinés du grand Sahara les reflets aux mille couleurs du visage vrai de notre humanité.
Crédit Photographie : Abdellah Azizi
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