Le patrimoine marocain est tellement riche qu’il est reconnu mondialement par les responsables du domaine ainsi que par les organisations internationales. Cette richesse patrimoniale n’est que le fruit d’un certain nombre de facteurs à savoir l’Histoire, la géographie, l’économie, la politique… Ces facteurs sont réunis pour faire du Maroc l’une des destinations touristiques les plus visitées au monde malgré la grande concurrence des pays de la Méditerranée comme la France, la Turquie ou la Grèce, en s’appuyant sur leurs patrimoines matériels et immatériels pour attirer les touristes et les visiteurs.
La politique touristique manque d’efficacité
Il est important de dire que le patrimoine n’est pas forcement ce qui encourage les touristes à faire leurs valises et partir en quelques jours, voir même des semaines vers un pays ou un autre, mais les infrastructures, les services, la sécurité font partie des éléments qui développent ce secteur. Au même temps, cette richesse patrimoniale attire, de plus en plus, d’investissement dans ce domaine. Or, sur le terrain, le constat est amer. Même si le tourisme est un secteur pilier de l’économie marocaine, la politique touristique manque d’efficacité, ce qui conduit à une perte du temps et donc d’argent.
Au Maroc, comme un peu partout au nord de l’Afrique, la culture amazighe est omniprésente. Elle a fortement marqué l’architecture, la musique et la vie quotidienne des habitants. Géographiquement parlant, cette civilisation occupait un large territoire qui allait de l’ouest de la vallée du Nil jusqu’à l’Atlantique (les îles Canaries) et de la Méditerranée au nord aux pays du Sahel (Mali, Niger notamment) au sud suite à la force et la puissance de ses rois et ses reines. Les amazighs ont toujours été un peuple fort, redoutable et courageux. Le pouvoir et la puissance de cette grande et magnifique civilisation justifie l’origine de la plupart des villes qui ont été amazighes mais qui ont perdu leur identité. Elles se sont fortement arabisées mais les populations d’origine sont des amazighs. La langue arabe s’est répandue avec l’Islam ce qui donne à l’observateur superficiel l’impression que ce sont des villes arabes.
Vu la richesse artistique (la musique, la danse), culturelle (la poésie, les contes, les mythes), linguistique et ethnique de la civilisation amazighe, les héritiers de la culture méditerranéenne d’aujourd’hui peuvent la considérer comme une de leurs civilisations mères.
A Darâa, au Sud-Est du Maroc, les familles amazighes ont subit plusieurs changements au niveau du mode de vie ainsi que leur attachement et leur relation avec les habitudes et les coutumes à titre d’exemple l’exode rural, l’émigration, l’urbanisation croissante. Tous ces phénomènes socio-économiques ont vu le jour dès le début des années 70. Ces années sont marquées par la construction d’un grand barrage : El-Mansour Eddahbi (1972) à Ouarzazate sur Oued Darâa ce qui a réduit et limité la quantité d’eau tout au long de la vallée sans oublier la forte sécheresse qui a touché la région. Tous ces éléments ont accentué la crise. C’est pourquoi la plupart des villageois ont été obligés de chercher des solutions adéquates pour cette nouvelle situation. Les jeunes, capables de travailler, ont délaissé leurs villages, leurs douars et leurs terres en laissant derrière eux les enfants, les vieux et les femmes pour aller travailler dans les grandes villes en exerçant de nouveaux métiers. Donc, ces superbes « châteaux » de terre rouge ou ocre qui ont étaient jadis la fierté et la grandeur des draouas (les gens de Darâa), sont actuellement menacés puisque ils tombent en ruine et ils vont disparaitre dans un futur proche ou lointain s’ils ne sont pas restaurés. Il s’agit certes de la disparition d’un élément irremplaçable du patrimoine amazigh, marocain et mondial, mais aussi d’un pilier de tourisme tout au long de cette vallée.
Le tourisme culturel est la forme la plus dominante dans la région Sud Est
Il est important de signaler que le tourisme culturel est la forme la plus dominante à Darâa. Le tourisme culturel qui a pour but de découvrir et de visiter les sites et les monuments historiques, c’est-à-dire la présence des touristes sur les lieux désignés comme culturels. C’est la qualité des lieux et non celle des hommes qui est mise en avant. La disparition des casbahs aura pour conséquence la disparition d’une grande majorité des touristes, ce qui va influencer négativement l’économie de toute une région.
A Agdz, plusieurs casbahs sont abandonnées malgré leur beauté et leur grandeur. Elles deviennent aujourd’hui la demeures des pigeons et d’autres types animaux et d’insectes. L’une des casbahs les plus connue de la région c’est la casbah de caïd Ali qui a été fondée il y a déjà plus de trois siècles. Elle est située au bord des champs sur une hauteur qui domine la côté gauche de l’oued Darâa. Cette casbah est entourée de tours pour assurer le contrôle de tous les cotés, surtout les routes des caravanes et les canaux d’irrigation. Cette casbah est très endommagée et dans un état de dégradation avancée. Comme les autres casbahs, celle-ci est un exemple idéal pour bien comprendre la fonction des casbahs à Darâa.
Autrefois, la tribu de Mazguita du haut Darâa a fait appel à d’autres tribus amazighes pour les protéger contre les attaques des tribus arabes (Bani Maâqil). Cet événement historique dévoile l’instabilité et l’insécurité car il y a toujours des menaces par les agressions des nomades, la plupart de ces attaques étaient déclenchées par rivalités pour s’emparer de l’eau qui est si vitale pour les êtres humains ainsi que pour les animaux et les plantations.
La structure des casbahs est attachée aux exigences climatiques à savoir la canicule estivale (45°C) et le froid d’hiver (+1°C). Les habitants utilisent les étages au rythme des saisons. En hiver, ils s’installent au premier étage, en été, les gens habitent les étages supérieurs. Les casbahs sont alors parfaitement adaptées au climat de la région.
Récemment, la construction au pisé n’est plus la technique la plus utilisée puisque d’autres techniques plus modernes ont vu le jour. La technique de la construction au pisé est un héritage transmis d’une génération à l’autre oralement et par la pratique d’un certain nombre de savoirs et de connaissances relatifs au matériel utilisé, aux outils employés et aux étapes à suivre.
Il n’est jamais trop tard pour agir
La sagesse veut qu’il n’est jamais trop tard pour agir. C’est le moment de remettre en question l’ensemble des stratégies touristiques avec beaucoup de patriotisme et de courage. C’est le moment de valoriser le patrimoine matériel et immatériel dans la région Sud Est du Maroc même si ce patrimoine est non connu par le grand public. C’est le moment de restaurer les monuments historiques de la région de Darâa, d’encourager la construction en pisé et d’ainsi protéger l’identité architecturale. C’est le moment ou jamais.
Crédit Photographie : Abdellah Azizi
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2 commentaires
À mon avis il faut dissocier la question touristique de la question du patrimoine en terre, c’est à dire, ce n’est pas le tourisme qui va sauver le patrimoine. D’abord il faut comprendre à quel point il y a une telle méconnaissance et une telle manque de conscience sur l’importance du patrimoine en général, de la part des autorités locales, régionales et nationales. La première mesure devrait être le catalogage du patrimoine et sa diffusion et bien si le CERKAS (cerkas.org/wordpress/) fait un travail remarquable, ils ont besoin de plus de moyens. Pendant 10 ans ils ont travaillé avec l’École Polytechnique de Lausanne en Suisse, dans le catalogage du patrimoine de la vallée du Drâa, mais le livre reste dans un tiroir depuis 5 ans, en attendant que le ministère de la culture décide sa publication. Face à la problématique de la diffusion et puisque les autorités n’ont pas même voulu investir dans un plan guide de patrimoine architectural, Marsad Drâa a décidé de réaliser ce plan guide (en cours) sur Internet (voir à la fin du texte tous les liens de 4 palmeraies sur un total de 7 de la province de Zagora).
Pour trouver des solutions effectives et réelles du patrimoine, il faut comprendre les modes de vie et analyser les causes qui provoquen l’abandon des ksour, casbahs et zaouïas, car il y a plusieurs facteurs, qui combinés différemment selon l’endroit, donnent lieu aux résultats divers. Ainsi, des facteurs sociaux, économiques, urbanistiques, architecturaux, éducatifs, historiques, culturels, touristiques, environnementaux, entre d’autres, demanderaient une analyse et une stratégique globale qui impliquerait plusieurs ministères.
Il faudrait changer la mentalité, afin de ne plus considérer le patrimoine comme un problème sinon une solution à certains problèmes.
Chez Marsad Drâa, nous considérons que ce patrimoine (dans la globalité du sens, pas seulement dans l’architecture en terre), est une source de sagesse qui devrait s’exporter au nord du Maroc et ailleurs. Construire avec des matériaux qui sont sur place, se protéger de la chaleur et du froid sans avoir besoin d’énergie électrique, vivre dans les palmeraies, en les respectant, s’organiser socialement… sont quelques des savoir-faire qui ne sont plus considérés à l’heure de penser des plans d’aménagements et des bâtiments dans nos villes. Par contre, même si le terme « développement durable” est à la mode parmi les politiciens à l’heure de parler des plans futures d’aménagement, ils se rendent pas compte que ce terme et tout ce qui va avec, fait partie des racines des régions du sud.
Comment valoriser le patrimoine matériel et immatériel dans la région Sud Est du Maroc, quand les infrastructures (routes et ponts) sont inexistantes dans beaucoup de douars ? Sans parler des grandes Kasbahs chargée d’histoire qui sont (volontairement ?) laissés en état de délabrement total. Je parle bien sûr des Kasbahs où séjournait le Pacha El Glaoui, parmi la plus connue d’entre elles, la somptueuse Kasbah de Telouet.